La politique canadienne en matière de radiodiffusion en question : de Marconi à Netflix

Auteur : Simon Claus

Université d’attache : Université du Québec À Montréal

Niveau d’études : Doctorat en communication

Introduction

À la fin des années 1920, alors que la radio en est encore à ses balbutiements au Canada – même si la première station de radio a commencé à émettre au Québec dès 1918 –, de nombreux auditeurs canadiens se tournent vers les stations américaines. Face à cette situation, le 6 décembre 1928, la Commission royale d'enquête sur la radiodiffusion au Canada est créée. Dix mois plus tard, John Aird rend son rapport réclamant « l'intervention du gouvernement fédéral pour contrer le jeu des forces commerciales préjudiciables à l'éclosion et à la sauvegarde de l'identité canadienne » (Fillion, 1997, 72). Il s’agit donc, dans un contexte de mutations technologiques, économiques et sociales liées au développement de la radio, de mettre en place une série de mesures visant à renforcer le système médiatique canadien et ainsi préserver le dynamisme de la culture locale et l’identité nationale. Près de 90 ans plus tard, c’est le développement d’acteurs économiques titanesquesNote de bas de page 1, généralement issus de la Silicon Valley, qui soulève à nouveau de nombreuses questions d’ordre économique, politique et culturelle. Nous pensons notamment à la manière, dont ces sociétés, qui interrogent l’organisation « historique » des industries de la culture et de l’information (ICC) et pensent leurs stratégies à une échelle transnationale, profitent pleinement des infrastructures nationales pour diffuser des contenus et proposer leurs services en faisant peu de cas des frontières des États-nations et de leur réglementation que ce soit en matière de législation fiscale ou de politique culturelle.

Les encadrements juridiques entourant les médias reposent sur l’idée que ces derniers ne sont pas des biens et services « comme les autres ». Ils revêtent un caractère symbolique et sont jugés d’intérêt public dans la mesure où ils se définissent par leurs fonctions d’« information, éducation, divertissement, publicité [et] structurent l'ordre du jour des débats sociaux, nous permettent de partager certaines expériences et nous fournissent la plupart des connaissances que nous avons du monde dans lequel nous vivons » (Raboy, 2000, XVII). À ce titre, la Loi sur la radiodiffusion de 1991 définit la radiodiffusion comme « un service public essentiel pour le maintien et la valorisation de l’identité nationale et de la souveraineté culturelle ». Dès lors, on se situe dans le cadre de la régulation hiérarchique où « l’activité des acteurs d’un système est coordonnée par une autorité centrale supérieure qui définit les objectifs poursuivis par le système et qui organise le cadre de l’action sociale » (Vedel, 2003, 1).

Or, l’une des conséquences des transformations qui affectent actuellement le secteur des médias est la remise en cause des cadres juridiques qui ont été pensés pour ces industries médiatiques. Ces derniers sont donc appelés à se réajuster. Sur ce sujet Marc Raboy et Thierry Vedel (2005, 313), notent que « le rôle de la réglementation des médias est de déterminer l’intérêt public, sur une base permanente, en regard des enjeux particuliers qui peuvent exister à tel moment ou à tel moment dans un pays ».

Cet article vise à revenir sur ce thème en nous penchant sur le cas de la radiodiffusion au Canada. Après avoir discuté des fondements de la politique du pays en matière de culture et communication, nous verrons comment les acteurs de la télévision par contournement (TPC)Note de bas de page 2 interrogent les bases de la politique canadienne en matière de radiodiffusion. En nous appuyant sur le processus Parlons télé et la question de la régulation des acteurs issus du numérique, nous mettrons en lumière les tensions et enjeux créés par le développement de la TPC. Enfin, nous proposerons une première réflexion sur la question de la « découvrabilité » sur lequel planche actuellement le CRTC tout en explorant certaines propositions européennes.

Les fondements de la politique canadienne en matière de télécommunication et radiodiffusion

En matière de radiodiffusion comme de télécommunication, le Canada s’est dès les années 1920 inscrit dans une politique interventionniste avec un objectif clair : le renforcement de l’identité nationale pour un pays en quête d’« émancipation culturelle ». Filion (2006, 77) explique ainsi qu’« alors que se forme l'État canadien, dont l'autonomie ne sera reconnue qu'avec le Statut de Westminster en 1931, le gouvernement fédéral commence à élargir son champ d'activité et met de l'avant un projet centralisateur : la création d'une identité canadienne par opposition à la culture populaire américaine et à d'autres formes d'affirmation nationale. »

La première radio à émettre au monde se situe en sol canadien : la XWA, une station de radio expérimentale montréalaise – celle-ci reçoit en 1919 la première licence émise par le ministre fédéral en vertu de la Loi du radiotélégraphe – exploitée par la Compagnie Marconi Canada. Malgré ces débuts prometteurs, à la fin des années 1920, la technologie radiophonique canadienne est encore embryonnaire tandis que les stations américaines diffusent librement dans le pays. La commission royale de la radiodiffusion fondée en 1929 « prescrit [alors] la création d’un système étatique pouvant susciter un esprit national et rendre compte de l’essence de la citoyenneté canadienne » (Prud'homme, Dubois-Prud'homme et Lapierre, 2011, 65). Le 26 mai 1932, la première Loi canadienne de la radiodiffusion est adoptée créant notamment la commission canadienne de radiodiffusion qui deviendra Radio-Canada en 1936. Loi canadienne de la radiodiffusion « établit, pour la première fois, le principe selon lequel le système doit être canadien en contenu et en caractère » (Dewing, 2011, 1). Au gré de l’évolution technologique des médias, de mutations sociales et économiques et de débats d’ordre politique et sociétal, cette réglementation de la radiodiffusion sera régulièrement ré-interrogée et amenée à évoluer avec comme enjeu central la préservation de la culture nationale.

Au début des années 1950, l'arrêté ministériel nommant la Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, des lettres et des sciences au Canada (Commission Massey, 1951, xi) souligne qu’« il est dans l’intérêt national d’encourager les institutions qui expriment le sentiment de la collectivité, favorisent la bonne entente et apportent la variété et de l’abondance à la vie canadienne, tant dans les régions rurales que dans les centres urbains ». Notons qu’en 1952, la Société Radio-Canada lance les premières stations de télévision au Canada.

En 1958, la nouvelle Loi canadienne de la radiodiffusion crée le bureau des gouverneurs de la radiodiffusion qui est responsable de la réglementation du système canadien de radiodiffusion. En contrepartie de l’obtention de l’autorisation pour les premières stations de télévision privées de diffuser dans les grands centres du Canada, la Loi canadienne de la radiodiffusion de 1958 met en place les premiers règlements en matière de contenu canadien qui imposent aux stations de radio et de télévision de consacrer une part spécifique de leur temps de diffusion au contenu national.

Si avec la loi de la radiodiffusion de1991, toutes les stations de télévision doivent inclure un minimum de contenu canadien à hauteur de 60 % sur une base annuelle ou de 50 % aux heures de grande écoute, suite aux décisions découlant du processus de consultation Parlons télé, ceux-ci sont allégés, illustrant ici une volonté d’assouplissement de cette politique de quotas.

De 1958 à 1968, le Bureau des gouverneurs assure donc la réglementation du système canadien de la radiodiffusion, mais n'octroie pas de licences, l’organisme faisant simplement des recommandations. Durant cette décennie, on assiste à une croissance des profits et une montée en puissance de la radiodiffusion commerciale (Raboy, 1995) – les années 1960 sont marquées par la montée des réseaux de télévision privés et de la câblodistribution – obligeant à penser une nouvelle politique de radiodiffusion et un nouveau mandat pour CBC/Radio-Canada.

Le 1er avril 1968 marque la fin du Bureau des gouverneurs et la naissance du Conseil de la radio-télévision canadienne (CRTC), un tribunal administratif autonome. De son coté, CBC/Radio-Canada se voit attribuer le mandat de maintenir l’unité canadienne. À partir de 1968, le pouvoir d'émettre des licences est délégué au CRTC alors que le Bureau des gouverneurs n’avait pas ce pouvoir qui était détenu par le gouvernement fédéral. Dans le même temps, la nouvelle Loi sur la radiodiffusion établit :

que les entreprises de radiodiffusion au Canada font usage de fréquences qui sont du domaine public et que de telles entreprises constituent un système unique, ci-après appelé le système de la radiodiffusion canadienne, comprenant des secteurs public et privé;

que le système de la radiodiffusion canadienne devrait être possédé et contrôlé effectivement par des Canadiens de façon à sauvegarder, enrichir et raffermir la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada; (Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B-11)

Alors qu’en 1972 débute la diffusion de signaux de télévision par satellite et que l’on assiste à l’émergence des stratégies dites de « convergence » dans le secteur des médias, le 1er avril 1976, le Conseil de la radio-télévision canadienne devient le Conseil de radiodiffusion et des télécommunications, avec un mandat élargi au secteur des télécommunications.

Au sein des ICC, les années suivantes se caractériseront par de profondes transformations avec une accentuation des phénomènes de mondialisation, une montée des politiques néolibérales, une financiarisation des ICC, une accélération de la concentration dans le secteur des médias et une explosion du numérique (Raboy, 1995, George, 2005, Bouquillion, 2005, Claus, 2015). Cette période est notamment marquée par « la montée en force des câblodistributeurs et une profonde restructuration de l’ensemble de l’industrie télévisuelle » (Tremblay et Lacroix, 1991, 4). Ainsi, en 1991, dans un « contexte marqué par des transformations économiques et technologiques majeures [où] la mission socioculturelle de la radiodiffusion ne s’accompl[it] qu’avec difficulté » (Raboy, 1995, 24), le CRTC adopte la Loi sur la radiodiffusion de 1991. Notons que les années suivant l’adoption de cette loi ne marque pas pour forcément une période de stabilité au sein des ICC comme l’illustre la démocratisation d’internet et l’avènement de la microinformatique.

Suite à l’adoption de la loi sur la radiodiffusion de 1991, le Fonds de production des câblodistributeurs, une entité privée sans but lucratif visant à contribuer au financement de la production culturelle nationale et financée grâce aux contributions des entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR), voit le jour (1994). Selon la règlementation de 1997 du CRTC, les entreprises de distribution de radiodiffusion ainsi que les distributeurs par SRD sont obligés de contribuer à la création et à la présentation d’émissions canadiennes à hauteur d’au moins 5 % de leurs revenus bruts annuels issus d'activités de radiodiffusion. Il s’agit de garantir un niveau minimal d’investissement dans la production culturelle nationale.

Parallèlement à ces décisions, le Canada a mis en place certaines règles sur la propriété étrangère dans le domaine de la culture et des communications avec comme objectif la préservation de l’identité culturelle nationale. Ainsi, la Loi sur Investissement Canada de 1985 oblige que tout investissement étranger dans une industrie culturelle soit soumis à une étude pour approbation. On retrouve ici une forme de nationalisme économique assez classique. Ensuite, selon les instructions du CRTC, « la propriété étrangère est limitée à 20 % pour un titulaire de licence. Le niveau de propriété étrangère admissible est plus élevé pour une société de portefeuille : 33 1/3 % » (OCDE, 2009, 248). Les secteurs de la radiodiffusion et des télécommunications sont assujettis aux mêmes restrictions en matière de propriété étrangère en raison de la directive du Cabinet de 1997. De plus, suite à la décision du gouverneur en conseil au CRTC du 8 avril 1997, l’organisme de régulation ne peut pas attribuer de licence de radiodiffusion à un demandeur non canadien.

En lien avec cette volonté d’un maintien d’une propriété nationale des médias, la stratégie du CRTC depuis les années 1980 est d’encourager la construction de grandes infrastructures – inforoutes – et la constitution de grands « champions » des ICC capable d’innover et d’investir dans les contenus nationaux. De manière complémentaire à sa fonction d’attribution des licences de radiodiffusion, le CRTC prend des décisions sur les fusions, les acquisitions et les changements de propriétés qui interviennent dans le secteur de la radiodiffusion. Or, nous avons pu observer un certain « laisser-faire » du Canada amenant un degré élevé de concentration dans le secteur des médias et l’émergence de grands conglomérats (Raboy, 2000, Claus, 2014b, 2015). Comme le note Marc Raboy (1995, 114) « On peut voir dans la complaisance gouvernementale face aux intérêts du secteur de la câblodistribution un parti pris général pour le développement industriel comme axe prioritaire de la politique de radiodiffusion ». En contrepartie, l’organisme public a mis en place sa politique sur les avantages tangibles qui oblige à un EDR réalisant une fusion/acquisition de proposer des contributions, notamment pour le financement de la production locale, correspondant à environ 10 % de la valeur de la transaction (Claus, 2014b). La politique de l’organisme de régulation s’inscrit donc dans l’idée que la consolidation de l’identité culturelle canadienne passe, dans le cadre d’une stratégie économique nationaliste, par l’établissement d’un système de radiodiffusion canadien fort constitué de grands champions.

Ainsi, au fil du 20e siècle, on peut voir que pour le Canada, la radiodiffusion s’est affirmée comme un outil essentiel à la construction culturelle du Canada – une culture diversifiée prenant en compte les différentes réalités locales –, de son unification et de son émancipation. On peut également noter que depuis sa naissance, le cadre réglementaire de la radiodiffusion semble engagé dans une course poursuite avec les changements sociaux, technologiques et économiques qui affectent les filières pour lequel il a été élaboré et les mutations qui touchent actuellement les ICC ne dérogent pas à cette règle. En effet, pensé dans le cadre de services de radio et télévision de types linéaires, le cadre réglementaire de la radiodiffusion apparaît aujourd’hui considérablement remis en cause.

La remise en cause de la loi sur la radiodiffusion par la TPC

Les « transformations » qui affectent aujourd’hui le monde de la radiodiffusion s’inscrivent notamment dans une dynamique d’individualisation de la consommation télévisuelle et une « réallocation » des dépenses culturelles des individus (Observatoire de la culture et des communications du Québec, 2009). En effet, depuis les années 1980, on observe :

un déplacement des dépenses culturelles des ménages de l’achat direct de produits culturels (livres, disques, DVD, billets de cinéma ou de spectacles, etc.) vers des dépenses :

de services : de télédistribution, d’accès Internet, de téléphonie mobile, de programmation par contournement permettant d’accéder aux produits culturels numérisés ;

d’équipements : achat d’appareils vidéo (téléviseurs, lecteurs, cinéma maison), d’ordinateurs, de portables, de tablettes, de consoles de jeux, de liseuses, de téléphones intelligents. (SODEC, 2013, 62)

Les acteurs de la TPC, derrière qui on trouve des acteurs économiques ayant mis en place des modèles socioéconomiques en phase avec le développement du numérique, ont su tirer partie de ces transformations, tout en participant à celles-ci. Arrivé au Canada en 2010, Netflix, figure de proue de la télévision par contournement, a connu une croissance exponentielle au point de regrouper 41 %Note de bas de page 3 de la population canadienne parmi ses abonnés en 2015 (CRTC, 2016). Par ailleurs, 96 % des moins de 35 ans affirment avoir utilisé You Tube au cours des derniers mois (Fonds des médias du Canada, 2016). On voit donc que la TPC est bien implantée dans le paysage médiatique canadien. Cette forte présence soulève de nombreuses questions, d’autant plus qu’une fois qu'une masse critique d’usagers a opté pour un service médiatique, on observe une forme de verrouillage laissant peu de place à la migration de cet auditoire vers d’autres services. L’enjeu principal de ces tensions tient au fait que l’on est en présence d’entreprises qui proposent – voire produisent – des émissions destinées au public canadien et donc devraient tomber sous la définition d'entreprise de radiodiffusion telle que consignée dans la loi de la radiodiffusion de 1991, mais y échappent. En effet, en 1999, le CRTC publie l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias qui exempte les diffuseurs internet de ses règles en matière de contenu canadien, une position qui sera réaffirmée en 2012. On voit donc ici que contrairement à la radio et à la télévision, internet se développe en dehors de la juridiction du CRTC, une décision motivée par une volonté de ne pas nuire à l’innovation dans le secteur du numérique et de correspondre à l’évolution de certains usages.

En 2013, le CRTC annonce toutefois son intention de moderniser le cadre réglementaire de la radiodiffusion.

Les audiences Parlons télé : un cas symptomatique de la dérèglementation du secteur des médias

Lancé en 2013, le processus Parlons télé s’est déroulé en trois phases. Les deux premières ont eu pour vocation de demander aux Canadiens et Canadiennes leur avis sur le secteur de la radiodiffusion et de comprendre l’évolution des usages en matière télévisuelle. La troisième phase qui nous intéresse plus particulièrement ici invitait les acteurs liés au secteur de la radiodiffusion à faire part de leur opinion sur l’évolution du cadre réglementaire de la radiodiffusion. Parmi les représentants invités à comparaître dans le cadre d’audiences publiques se déroulant en septembre 2014 à Gatineau, on a retrouvé une quarantaine d’intervenants parmi lesquels les EDR nationales, des sociétés médiatiques internationales – Google propriétaire de You tube, Disney et Netflix –, la Société Radio-Canada, des groupes de défense des consommateurs, des représentants de créateurs et des producteurs, divers membres institutionnels comme la fédération culturelle canadienne-française et les gouvernements du Québec et de l’Ontario.

Si nous ne pouvons revenir sur l’ensemble des débats qui ont marqué les audiences Parlons télé nous allons nous attarder sur la question qui nous intéresse plus particulièrement ici – sujet qui a ailleurs grandement parasité les débats sans avoir été proposée par le CRTC – : la réglementation des fournisseurs de vidéos en ligne.

Pour les EDR, la TPC représente une concurrence déloyale dans la mesure où ces acteurs de l'internet échappent totalement aux mesures imposées par le CRTC, comme les politiques de quotas ou l’obligation de participer au financement de la production culturelle nationale. Sur ce sujet, Pierre Dion, chef de la direction de Québecor, a notamment déclaré, « Netflix ainsi qu'Amazon, Google et autres doivent, dans leurs plus grands rêves, souhaiter que les instances réglementaires continuent de garder les clés des menottes des télédistributeurs et télédiffuseurs traditionnels canadiens » (Marquis, 2014). Durant les audiences, les EDR ont surtout mobilisé un discours demandant un allègement de la réglementation sur les médias pour pouvoir rivaliser avec certaines grandes plateformes de contenus étrangères. On retrouve chez ces sociétés médiatiques une rhétorique qui n’est pas nouvelle (Raboy, 1995) appelant à un assouplissement de la politique de la radiodiffusion qui permettrait, selon elles, aux EDR d’être plus compétitives et d’accomplir leur mission de valorisation de la culture nationale avec plus d’efficacité (Claus, 2015).

Pour les acteurs liés à la création et à la production culturelle, le développement des services de programmation par contournement qui n’ont aucun compte à rendre en matière culturelle pourrait nuire au dynamisme – lié à l’obligation de participer au financement de la production nationale – et à la visibilité – liée aux politiques de quotas – de la culture nationale. À titre d’exemple, en 2015, Mathieu Plante (2015, 1), président de la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (Sartec), dénonçant le manque de contenus canadiens dans l'offre de Netflix et sa tendance à « piétiner nos lois sans être dérangé et à vouloir écraser notre culture avec ses gros sabots » a mis en avant l’idée que la « sacro-sainte autonomie du Web est une menace bien réelle à notre industrie ».

Cette position des créateurs et producteurs du milieu culturel a été rejointe par certains acteurs institutionnels comme les représentants de l’Ontario ou du Québec. À ce titre, le Ministère de la Culture des communications du Québec, dans la recommandation 27 de son rapport, « demande au CRTC d’étudier la faisabilité d’imposer aux services payants de programmation par contournement, canadiens et non canadiens, une contribution financière à la programmation canadienne » (Ministère de la Culture des communications du Québec, 2014, 35). Il s’agit notamment pour le Québec de préserver sa souveraineté culturelle.

De l’autre côté de la table, Netflix et Google ont tenu un discours reposant sur l’absence de contraintes comme condition à l’innovation et la croissance et au respect de la liberté du consommateur. Ils se sont donc opposés à toute idée de réglementation de leurs activités. À ce titre, Corie Wright, porte-parole de Netflix lors des audiences du CRTC, a suggéré au CRTC de laisser les usagers « voter avec leurs dollars et leurs yeux pour former le marché médiatique » (Pedwell, 2014).

Les propos de la représentante de Netflix renvoient à un plaidoyer pour une régulation par le marché qui « postule un état de compétition dispersée qui met en contact des acteurs autonomes et aux intérêts indépendants les uns des autres, cherchant chacun à maximiser ses avantages individuels. L’arbitrage entre les préférences individuelles se fait à travers les prix » (Raboy, Vedel, 2005, 319). On se situe donc dans un paradigme opposé à celui dans lequel s’inscrit la Loi sur la radiodiffusion qui repose sur une régulation de type hiérarchique « censée se faire au nom du bien commun de la société et transcender les intérêts particuliers là où la régulation marchande les exalte » (Raboy et Vedel, 2005, 321).

Un des faits marquants des audiences du CRTC est la prise de position du gouvernement fédéral qui s’est alignée sur l’argumentation de You Tube et Netflix. En effet le 19 septembre 2015, en faisant preuve d’ingérence auprès d’un organisme indépendant, le gouvernement Harper a déclaré qu’il rejetterait toute tentative visant à imposer une « taxe Netflix ou YouTube »Note de bas de page 4. Le 5 août 2015, en pleine période d’élection fédérale, le chef du parti conservateur Stephen Harper a également déclaré sur sa page Facebook, « je suis à 100 % contre une Taxe Netflix. […] Seul notre Parti conservateur répond aux besoins des consommateurs canadiens maintient un faible fardeau fiscal. Seul notre Parti va empêcher l’imposition d’une taxe sur Netflix ».

On observe ici l’utilisation d’un procédé discursif qui vise à empêcher l’adoption de toute réglementation avec la mobilisation d’une sémantique connotée négativement – on ne parle pas d’extension de la Loi sur la radiodiffusion, mais plutôt de « taxe » – qui permet notamment au gouvernement conservateur de se poser en protecteur du « citoyen/consommateur ». Toute réglementation serait contre-productive et il faudrait laisser le marché le plus libre possible dans l’intérêt du consommateur. Précisons que le gouvernement libéral de Justin Trudeau qui a remplacé le gouvernement conservateur de Harper au mois de novembre 2015 a, à ce jour, exclu à son tour tout projet visant à réguler les acteurs de la TPC.

Dès novembre (2014), la question de la réglementation des plateformes était évacuée par le président du CRTC pour qui « Réglementer Netflix est la dernière des préoccupations ». Monsieur Blais a ainsi expliqué :

Nous en sommes venus à la conclusion que détenir une licence n'est pas obligatoire. On n'a pas besoin d'aller là pour atteindre les objectifs ». « Avec Shomi, le projet Latte de Bell, illico Club à volonté, il me semble qu'on a beaucoup de vigueur par rapport à l'offre audiovisuelle sur les plateformes en ligne. (…) On a atteint l'objectif sans intervention du régulateur ». (Brousseau-Pouliot, 2014)

Le marché semble donc être la meilleure des réponses aux défis auquel est soumis le secteur de la radiodiffusion car, naturellement, celui-ci remplirait les objectifs du CRTC. Finalement, dans le cadre du processus Parlons télé, les décisions prises par le CRTC ont eu pour principales visées d’instaurer un système plus flexible et favorable aux entreprises de radiodiffusion comme au téléspectateur.

Ainsi, des décisions telles que l’allègement des quotasNote de bas de page 5, l’autorisation pour les services de vidéo sur demande d'offrir du contenu exclusif aux usagers ou encore l’élargissement de la définition de ce qu’est la « programmation canadienne » ont pour vocation de flexibiliser le cadre réglementaire de la radiodiffusion afin de permettre aux acteurs historiques d’être plus compétitifs et de rivaliser avec les services de TPC étrangers.

Ensuite, des mesures telles que la création d’abonnements plus abordables et plus flexibles, l’interdictiondes politiques d’annulation de 30 jours ou encore la limitation de la substitution simultanée qui résultent de la prise en compte des doléances des usagers s’inscrivent elles dans une optique plutôt consumériste, le téléspectateur étant « empereur » selon Monsieur Blais.

Précisons enfin que certaines décisions comme le maintien de la réception en direct de la télévision ou l’obligation pour les EDR de fournir un service de base abordable donnant la priorité aux émissions d'information et aux bulletins de nouvelles locales et régionales visent à garantir un certain niveau de service public qui incombe aux médias en général.

Pour conclure sur les audiences Parlons télé, nous dirons que notre étude de celles-ci nous amène à y voir, de manière globale, une illustration du désengagement de l’État à l’œuvre depuis les années 1980 dans le secteur de la radiodiffusion et plus largement celui des médias dans son ensemble, dans un contexte où la « réglementation ne vise pas tant à exprimer une volonté politique qu'à accompagner, en adaptant les règles du jeu et en créant un environnement propice à l'innovation, les efforts des entreprises privées » (Vedel, 1999, 18).

Dans un contexte de transformations des industries culturelles, pour le CRTC, il semble donc désormais plus pertinent d’opter pour une politique orientée vers la stimulation de la « production d’un contenu dont la qualité devrait lui permettre d’émerger dans la surabondance actuelle » et l’adoption de « mesures afin d’inciter la promotion des émissions canadiennes afin que les Canadiens puissent les découvrir » (CRTC, 2015, 1). C’est dans cette perspective que l’organisme de régulation à décider de plancher sur le principe de « découvrabilité » sur lequel nous allons maintenant revenir.

Quelle portée pour la « découvrabilité » ?

Au moment où nous écrivons le présent article, le CRTC tient une série de consultations et de conférences sur la « découvrabilité », partant du constat que « La découvrabilité (ou l’absence de), c’est le symptôme d’un problème plus vaste. L’industrie de la production audiovisuelle canadienne repose sur une structure mise en place il y a une quarantaine d’années pour protéger la culture canadienne devant l’arrivée de la télévision américaine » (FCM, 2016, 54). Il s’agit de donner aux contenus canadiens une visibilité sur le plan national comme international dans un « océan numérique ». La découvrabilité renvoie ainsi à la capacité intrinsèque d’un contenu à émerger au sein d’une « économie de l’attention » fonctionnant selon le principe de « star-system » et où circule, à une échelle transnationale, une quantité incommensurable de produits culturels. Il réside toutefois un certain de flou sur la manière de rendre opératoire ce principe de « découvrabilité ».

Dans un rapport publié récemment, le Fond des médias (2015) a mis en avant deux types de levier sur lesquels reposeraient la « découvrabilité », les leviers institutionnels et les leviers industriels. Le premier renvoie aux « politiques culturelles adoptées pour soutenir et protéger les activités du secteur de la production audiovisuelle, de la réglementation instituée en appui à ces politiques et des différents programmes – gérés par des institutions gouvernementales – qui financent cette production » (FCM, 2015, 6). On retrouve ici des éléments de politique culturelle « classiques » renvoyant au financement de la culture. Le second pilier « repose en grande partie sur les nouvelles technologies numériques : elles exploitent un matériau – les données – avec un outil – les algorithmes – aux multiples usages (recherche, recommandations personnalisées, nouvelles formes de marketing, entre autres) » (FCM, 2015, 7).

Les consultations étant en cours, nous nous proposons donc de réaliser, non pas un travail exhaustif, mais de revenir sur les premières observations que nous avons pu faire sur cette question de la « découvrabilité ». Selon Josée Plamondon (8/05/2016) « Sur le web, la découvrabilité des contenus résulte généralement d’apports externes (publicité, promotion, médias sociaux, référencement). Ces efforts sont généralement ponctuels et principalement consacrés aux nouveautés. Les répertoires, collections et fonds qui sont enfouis dans les bases de données demeurent invisibles et donc, peu exploités. » Ces propos mettent en lumière l’importance du référencement des contenus et donc des métadonnées qui s’apparentent en quelque sorte à la carte d’identité d’un contenu. Nos premières observations semblent indiquer que leur importance tend à faire un consensus chez une majorité d’acteurs de la création et de la production culturelle. Cela tient au fait que des métadonnées fines et précises facilitent notamment la recherche et l’identification d’un document. Toutefois, si des métadonnées de qualité apparaissent fondamentales, elles sont inutiles sans une présence en ligne et une certaine visibilité des oeuvres sur les différentes plateformes, en particulier les plus populaires. En effet, pour être effectivement visionnés, les contenus doivent être présents et facilement accessibles sur internet. Or nous avons vu que le CRTC a fait le choix de ne pas réguler les plateformes en ligne, bloquant par la même toute possibilité d’obliger ces dernières à mettre de l’avant un certain taux de contenus nationaux.

Il s’agit donc pour les créateurs et producteurs de contenus canadiens de trouver des moyens de mettre leurs contenus en ligne de manière efficace. Dans cet esprit, nombre d’acteurs historiques ont passé des accords avec des plateformes numériques, comme cela a pu être le cas entre Radio-Canada et Netflix.

L’accroissement de cette présence en ligne peut également passer par le développement de plateformes nationales. À ce titre, pour rivaliser avec les acteurs étrangers de la TPC, les EDR nationauxNote de bas de page 6 ont lancé leurs propres services de vidéo à la demande par abonnement en illimité (Claus, 2014a). L’une des limites de ce type de réponse est que ces initiatives sont éparses et entrent en concurrence entre elles : il n’y pas de réponse coordonnée avec une plateforme agglomérant une quantité importante d’œuvres audiovisuelles, notamment canadiennes, permettant ainsi de rivaliser avec de grands acteurs tels Netflix ou You tube déjà bien implantés au sein du paysage médiatique canadien. La fermeture en novembre 2016 du service de diffusion en continu Shomi, coentreprise formée de Rogers et de Shaw Communications, illustre d’ailleurs la difficulté pour les services canadiens d’exister dans cet environnement particulièrement concurrentiel qui n’est pas encore « stabilisé ».

Autre limite de ces services, il n’y a aucune garantie que les entreprises de radiodiffusion privées canadiennes choisissent de mettre de mettre en avant des contenus nationaux, à la différence des entreprises de service public comme l’ONF ou Radio-Canada avec son service Tou.TV. À ce titre, le cas de l’Office National du Film, qui a notamment pour mission de produire et valoriser « des œuvres audiovisuelles originales qui reflètent les diverses perspectives canadiennes – culturelles, régionales et autochtones, entre autres – et qui émanent des divers créateurs et communautés composant le pays » (ONF, 2015, 18), est particulièrement intéressant. En 2009, l’ONF lance ONF.ca qui offre gratuitement le visionnement en continu de documentaires et de films d’animation, ainsi que des histoires interactives. Depuis son lancement, le site a cumulé plus de 57 millions de visionnements. Dans son Rapport sur les plans et priorités 2016-2017, l’ONF (2015, 33) indique que « L’Espace de visionnage en ligne ONF.ca | NFB.ca continuera d’être la principale vitrine pour la promotion et la diffusion de milliers d’œuvres de l’ONF, dont la majorité est offerte gratuitement au public », des œuvres qui pour la grande majorité sont canadiennes. De manière complémentaire, l’ONF a fait le choix de maintenir certains partenariats avec des diffuseurs de différents ordres tels qu’Air Canada, Via Rail ou des plateformes comme Netflix Canada, iTunes ou YouTube, etc.

Les quelques travaux et échanges existant autour de la « découvrabilité » que nous avons pu consulter semblent donc indiquer que celle-ci est notamment liée à la qualité des méta-données d’un contenu, sa présence en ligne, en particulier sur des plateformes rassemblant une large audience, et son référencement. De plus, outre les services utilisés, les appareils sur lesquels seront lus les contenus – télévision, téléphones, ordinateurs, tablettes, etc. – ont aussi leur importance, une multiplicité de supports qui doit aussi être prise en compte.

En dehors de ces aspects techniques, un élément fondamental – voir l’Élément fondamental – à prendre en considération est la demande des consommateurs. En effet, aussi « découvrables » que soient les contenus nationaux, il faut qu’il existe une demande pour être qu’ils soient consommés. Or, s’intéresser aux pratiques culturelles est une tâche particulièrement ardue étant donné la complexité, la multiplicité et l’instabilité de celles-ci. En effet, les identités culturelles – d’où découlent les pratiques culturelles des individus – « doivent être pensées comme “n’étant pas définies une fois pour toutes”, mais “comme étant toujours en formation […], en construction, comme se redéfinissant en permanence sous la pression des contacts avec les flux culturels transnationaux” » (Mattelart, 2009, 5). À ce titre, le développement du numérique ne doit pas être pensé comme un rouleau compresseur, facteur d’homogénéisation culturelle, mais un phénomène éminemment complexe qui prend corps dans un contexte culturel et socio-historique mouvant et fondamentalement hybride. À titre d’exemple, Martin Tétu (2012, 1) a montré que « le peer-to-peer peut contribuer à la circulation du patrimoine québécois et à la diversité culturelle » invalidant ainsi « le scénario “sombre” d’un Internet qui standardise les goûts et qui les “américanise” » (Tétu, 2012, 16). Au terme de sa réflexion, le chercheur québécois met notamment en avant l’idée que :

Le réseau P2P devient alors un terrain numérique où se prolongent les activités régulières hors ligne des Québécois, avec des différences (période des produits et produits inédits), mais aussi des ressemblances (origine québécoise). (...) Un intérêt pour la culture québécoise hors ligne s’exprime alors par une demande de produits québécois en P2P. (Tétu, 2012, 26)

Or, ces « activités régulières hors ligne » qui se répercutent en ligne découlent en partie de politiques en matière culturelle et d’éducation, deux volets qui par moment disparaissent au profit de débats plus techniques. Nous nous focaliserons ici sur le premier volet – les politiques culturelle – n’ayant ni l’espace ni les connaissances requises pour aborder la question de l’éducation.

L’éternelle problématique du financement

Parmi les outils de politique culturelle, on pense en premier lieu aux différents mécanismes de financement de la culture qui sont d’autant plus fondamentaux dans un contexte où, comme l’expliquent Jonathan Roberge, Georges Azzaria, Guy Bellavance et Christian Poirier (2016, 33)

Le partage des revenus a été altéré, sinon court-circuité et cela ne cesse de poser des questions en terme de juste rémunération des créateurs. Que ce soit en musique, en audiovisuel et multimédia, en arts visuels, etc., le constat est que les redevances versées sont finalement presque toujours de l’ordre du famélique. Comme plusieurs le soulignent, le fait d’être présent sur les plateformes ou d’être simplement « visible » n’est pas suffisant pour garantir des revenus jugés nécessaires.

Si la « découvrabilité » représente une allée intéressante, celle-ci ne résout pas la question du financement, une voie sur laquelle semble s’engager l’Union Européenne (UE). En 2007, afin de remplacer la directive « télévision sans frontières » datant de 1989, l’UE décide de codifier la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA)Note de bas de page 7 qui deviendra la directive 2010/13/UE. Celle-ci vise « « à fournir un cadre pour les services de médias audiovisuels transfrontières afin de renforcer le marché intérieur de la production et de la distribution des programmes, et garantir des conditions de concurrence loyale » (Consulté sur eur-lex.europa.eu). Ne concernant que la « VOD » et la « télévision de rattrapage » avec des obligations concernant des sujets tel que la protection de l’enfance contre la violence et la pornographie, la non-incitation à la haine, la promotion de la diversité culturelle européenne, les quotas, les règles publicitaires, etc., en 2014, la directive 2010/13/UE subit un processus de réexamen afin de s’adapter aux nouveaux modes de consommation de l’audiovisuel en prenant en compte les services de vidéo à la demande tels que Netflix et MUBI et les plateformes de partage de vidéos comme de YouTube ou Dailymotion.

Le 25 mai 2016, la commission européenne publie une proposition de directive du parlement européen et du conseil « modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, compte tenu de l'évolution des réalités du marché ». Cette proposition de révision de la directive de 2010 vise notamment à renforcer la promotion de la diversité culturelle européenne, garantir l’indépendance des autorités de régulation de l’audiovisuel et offrir une plus grande souplesse aux organismes de diffusion en matière de publicité. Deux aspects ont particulièrement retenu notre attention car ils représentent une piste de réflexion intéressante pour le Canada :

Une créativité européenne plus développée: à l'heure actuelle, les organismes de radiodiffusion télévisuelle européens investissent quelque 20 % de leurs recettes dans des contenus originaux alors que les fournisseurs de services à la demande y investissent moins de 1 %. La Commission souhaite que les organismes de radiodiffusion télévisuelle continuent à consacrer au moins la moitié du temps de visionnage à des œuvres européennes et obligera les fournisseurs de services à la demande à garantir une part d'au moins 20 % de contenus européens dans leurs catalogues. La proposition précise également que les États membres pourront demander aux services à la demande disponibles sur leur territoire de contribuer financièrement à la production d'œuvres européennes. (Commission européenne, 2016)

Un rôle renforcé pour les autorités de régulation de l'audiovisuel: la directive garantira désormais que les instances de régulation sont véritablement indépendantes des gouvernements et de l’industrie et qu'elles peuvent assumer au mieux leur rôle, à savoir: veiller à ce que les médias audiovisuels agissent dans l'intérêt des spectateurs. Le rôle du Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA), composé de l'ensemble des 28 autorités nationales de l'audiovisuel , sera défini dans la législation de l’UE. L'ERGA évaluera les codes déontologiques en matière de corégulation et conseillera la Commission européenne. (Commission européenne, 2016)

Dans un perspective similaire, le 16 novembre 2016, l’assemblée nationale française a adopté un amendement instaurant de visant à étendre la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public datant de 1993 aux plateformes vidéos gratuites comme YouTube et Dailymotion. Cette décision vise à :

rétablir l’équité fiscale entre les plateformes gratuites et payantes et entre acteurs nationaux et étrangers, notamment américains. En effet, rien ne justifie que la diffusion d’une œuvre soit taxée lorsqu’elle est disponible sur une plateforme de télévision à la demande, ou un service de vidéo à la demande, et que sa diffusion sur une plateforme gratuite ne génère aucun revenu finançant la création. (Assemblée nationale, 2016, 5)

D’après l’exposé de l’amendement, «la taxe sera due par tout opérateur, quel que soit son lieu d’établissement, proposant un service en France qui donne ou permet l’accès, à titre onéreux ou gratuit, à des œuvres cinématographiques ou audiovisuelles ou autres contenus audiovisuels» (Assemblée nationale, 2016, 5). Le taux de celle-ci s’élève à 2% des recettes réalisées en France par les opérateurs concernés. Toutefois, les services donnant accès à des «contenus audiovisuels créés par des utilisateurs privés», à l’instar de YouTube avec ses vidéos amateures, auront droit à un abattement de 66%. Le produit de la taxe, qui vise à soutenir la production audiovisuelle et cinématographique nationale, sera reversé au Centre national du cinéma et l’image animée (CNC). Si cette décision doit encore être validée par le sénat, elle illustre une volonté politique de maintenir le dynamisme de la production culturelle nationale en amenant les acteurs qui contournent les règles en matière de diffusion audiovisuelle à faire leur part.

Conclusion

Au sein des recherches en communication comme en économie ou sociologie de la culture, il est reconnu que les médias sont d’« intérêt public ». Dès lors, toute transformation du paysage médiatique revêt des enjeux sociaux et culturels fondamentaux et amène son lot de débats. Le développement du numérique qui aujourd’hui interroge l’organisation des industries médiatiques ne fait finalement que s’inscrire dans cette histoire.

Nous avons vu que le CRTC est intervenu dès le début dans la construction du système de radiodiffusion en vue de faciliter l’épanouissement d’une culture canadienne et de renforcer l’identité nationale. Confronté au flot massif de contenus américains, le Canada a donc opté pour une stratégie de protection en matière médiatique et d'intervention en matière culturelle afin de construire une identité culturelle s’émancipant de l’influence de l’ancien empire colonial ou de l’empire montant du sud. La protection de la souveraineté culturelle passerait ainsi par l’encadrement du système de radiodiffusion, en tant qu'élément essentiel de la culture nationale et de sa diversité. Dans cette perspective, le Canada a mis en place une série d’outils afin de favoriser le dynamisme de la production culturelle canadienne et sa visibilité.

L’arrivée de certains acteurs étrangers issus du numérique, en particulier les services de TPC, est toutefois venue réinterroger le cadre réglementaire de la radiodiffusion. Comme pour la radio des années 1920 ou le cinéma des années 1930 – l’industrie cinématographique est dominée à l’époque par l’Américaine Famous Players Canadian Corporation qui transformera pratiquement l’industrie cinématographique du Canada en « succursale d’Hollywood » –, nous sommes en présence d'acteurs diffusant des contenus étrangers, souvent américains, faisant peu de cas de la mise en visibilité et du financement de la culture nationale. Or, en invoquant la liberté du consommateur et la nécessité de créer un environnement propice à l’innovation et la croissance, le CRTC comme le gouvernement fédéral ont refusé de légiférer sur ces questions. Pour le CRTC qui a laissé internet développer en dehors de sa juridiction, il est devenu extrêmement difficile d’intervenir et plus le temps passera plus cette intervention deviendra complexe alors que se sont les bases mêmes du cadre réglementaire de la radiodiffusion qui sont interrogées.

L’horizon temporel dans le cadre duquel évoluent les médias est bien plus rapide que celui dans lequel évolue les lois ce qui implique de disposer aujourd’hui d’encadrements juridiques souples et capables de s’adapter. Cela ne va pas dire pour autant qu’il faut délaisser entièrement l’encadrement des médias à la « régulation marchande » dont l’intérêt public n’est pas l’objectif prioritaire et plus on laisse le rocher de Sisyphe descendre, plus il est difficile de le remonter.

Comme l’expliquait déjà Marc Raboy en 2003, « il faut concevoir un nouveau mode de gouvernance qui convient au contexte de la convergence et de la mondialisation que l’on peut qualifier (un peu facilement, bien sûr) comme étant “l’ère d’Internet” » (Raboy, 2003, 4). Dans le cadre de cette réflexion où la protection de la culture nationale ainsi que la question de la « diversité culturelle » occupent une place centrale, si la mise en place d’outils permettant une présence et une visibilité en ligne accrue des contenus culturels nationaux apparaît importante, l’adaptation des modes de financement de ceux-ci l’est tout autant.

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