Décision de télécom CRTC 2008-27

Ottawa, le 19 mars 2008

Politique de réglementation

Amélioration de l'accès aux services locaux

Référence : 8638-C12-200515002

Dans la présente décision, le Conseil conclut qu'il ne conviendrait pas d'ordonner aux entreprises de services locaux titulaires de mettre en oeuvre un plan de remboursement des dettes pour les abonnés dont le service a été débranché antérieurement. Toutefois, le Conseil demande au Commissaire aux plaintes relatives aux services de télécommunications inc. de se pencher sur les questions de gestion du crédit liées à l'amélioration de l'accès aux services locaux.

Introduction

1. Dans l'ordonnance 2000-393, le Conseil a amorcé un processus visant à améliorer l'accès aux services locaux de détail (services locaux), ce qui l'a mené à publier les décisions de télécom 2004-31 et 2005-38.

2. Dans la décision de télécom 2004-31, le Conseil a conclu que les entreprises de services locaux titulaires (ESLT), selon leurs modalités de service, ne sont pas autorisées à débrancher ou à menacer de débrancher les services tarifés d'un client qui n'a pas payé ses factures si ce client a) a fait des paiements partiels suffisants pour couvrir ses arriérés impayés pour les services tarifés ou b) est disposé à conclure et à respecter une entente raisonnable de paiements différés1.

3. Dans la décision de télécom 2005-38, le Conseil a fait remarquer les difficultés que les clients dont le service a été débranché contre leur gré ont connues en tentant de ravoir accès aux services locaux. À cet égard, le Conseil a fait remarquer que parmi toutes les ESLT, seule Saskatchewan Telecommunications (SaskTel) avait un plan de remboursement des dettes (PRD) pour aider les clients disposés à conclure un plan et à en respecter les modalités à ravoir accès aux services locaux avant que toutes les dettes ne soient remboursées. Les autres ESLT, soit Bell Aliant Communications régionales, société en commandite (Bell Aliant)2, Bell Canada, MTS Allstream Inc. et la Société TELUS Communications (STC) [collectivement les Compagnies], ont indiqué qu'en général, elles rebranchent le service local d'un client dès que toutes les dettes, ainsi qu'un dépôt de garantie et des frais de rebranchement, sont entièrement payés.

4. Afin d'améliorer l'accès au service local par les clients dont le service a été débranché contre leur gré, le Conseil a ordonné aux Compagnies de mettre en oeuvre, pendant une période de 18 mois, un PRD pilote inspiré du programme de SaskTel. Le PRD pilote prévoyait, entre autres choses : a) l'établissement d'un calendrier de remboursement des dettes; b) aucun intérêt ajouté aux montants dus; c) l'abolition des dépôts de garantie; et d) l'étalement des frais de rebranchement sur une période de six mois.

5. Le Conseil a ordonné aux Compagnies de présenter les résultats du PRD pilote et de justifier pourquoi le plan ne devrait pas être mis en ouvre de façon permanente. Le Conseil a également ordonné à SaskTel de présenter les résultats de son programme pour la même période et de justifier pourquoi son programme ne devrait pas être modifié pour le rendre conforme au PRD pilote.

6. Les parties suivantes ont participé à l'instance : les Compagnies, SaskTel et les Groupes de défense des consommateurs3. Le dossier de l'instance a été fermé le 15 juin 2007. Le dossier public de l'instance se trouve sur le site Web du Conseil à l'adresse www.crtc.gc.ca, sous l'onglet Instances publiques.

Questions

7. Dans la présente décision, le Conseil examinera s'il devrait exiger que les Compagnies mettent en ouvre le PRD pilote de façon permanente et il se penchera sur d'autres questions connexes.

I. Le Conseil devrait-il exiger que les Compagnies mettent en ouvre le PRD pilote de façon permanente?

8. Les Groupes de défense des consommateurs ne partageaient pas l'avis des Compagnies concernant l'efficacité du PRD pilote et la question de savoir s'il serait approprié, à la lumière du Décret donnant au CRTC des instructions relativement à la mise en oeuvre de la politique canadienne de télécommunication, C.P. 2006-1534, 14 décembre 2006 (les instructions), que le Conseil ordonne aux ESLT de mettre en oeuvre un PRD de façon permanente.

9. Les Groupes de défense des consommateurs estimaient que le PRD pilote était suffisamment efficace pour qu'on envisage de le rendre permanent. Ils ont toutefois affirmé que le Conseil devrait le modifier pour le rendre plus conforme aux instructions, et qu'il devrait ordonner aux ESLT et aux entreprises de services locaux concurrentes de le mettre en oeuvre de façon permanente après avoir suivi un processus adéquat.

10. À cet égard, les Groupes de défense des consommateurs ont affirmé :

11. Les Compagnies ont soutenu qu'en raison des obligations prescrites dans leurs modalités de service et de leurs pratiques actuelles de gestion du crédit, il ne serait pas nécessaire de mettre en oeuvre le PRD pilote de façon permanente. Elles ont précisé qu'imposer le PRD pilote de façon permanente ne serait pas conforme aux instructions parce que le plan est inefficace et disproportionné au but visé, et qu'il entrave grandement le libre jeu des forces du marché.

12. À cet égard, les Compagnies ont affirmé que :

13. SaskTel a indiqué que si le Conseil ne jugeait pas nécessaire d'ordonner aux Compagnies de mettre en ouvre le PRD pilote de façon permanente, elle repenserait sa décision d'offrir son PRD.

Résultats de l'analyse du Conseil

14. Le Conseil estime que l'accès aux services locaux comporte de nombreux avantages sociaux et économiques importants pour les consommateurs, dont un niveau de sécurité accru (p. ex. l'accès au service 9-1-1), la réduction de l'isolement et l'amélioration des perspectives d'emploi.

15. Le Conseil estime que les options qui s'offrent aux consommateurs qui souhaitent se rebrancher au réseau à la suite d'un débranchement effectué contre leur gré, surtout ceux qui ont un faible revenu, peuvent parfois être limitées. À cet égard, le Conseil indique que, tel qu'indiqué dans le Rapport de contrôle de l'abordabilité de juin 20075, les Compagnies ont effectué 167 332 débranchements contre le gré des clients pendant l'année civile précédente.

16. Le Conseil fait remarquer que les instructions s'appliquent aux conclusions qu'il tire dans la présente décision. Il ajoute que le sous-alinéa 1a)(ii) des instructions indique qu'il devrait, « lorsqu'il a recours à la réglementation, prendre des mesures qui sont efficaces et proportionnelles aux buts visés et qui ne font obstacle au libre jeu d'un marché concurrentiel que dans la mesure minimale nécessaire pour atteindre les objectifs ».

17. Le Conseil reconnaît que le PRD pilote a permis à de nombreux consommateurs de ravoir accès aux services locaux. Toutefois, il fait remarquer que les taux de défauts de remboursement variaient considérablement d'une compagnie à l'autre (p. ex., dans le cas de Bell Aliant, le taux de défauts de remboursement s'établissait à 81 % tandis que celui de la STC était de 40 %). De plus, le Conseil fait remarquer que la mise en oeuvre du PRD pilote de façon permanente aurait une incidence financière différente sur les compagnies d'après leurs coûts de mise en oeuvre ainsi que leur ratio de recouvrement de dettes (c.-à-d. les dettes recouvrées à la suite de la mise en oeuvre du PRD pilote divisées par les nouvelles dettes accumulées au cours de la même période).

18. Par conséquent, le Conseil estime que, dans l'ensemble, les résultats du PRD pilote ne sont pas concluants, à savoir si les avantages de la mise en oeuvre du programme d'une façon permanente l'emportent sur les coûts. Le Conseil estime qu'il existe des méthodes plus efficaces et proportionnées pour faire en sorte que les consommateurs aient un meilleur accès aux services locaux, telles que des mesures qui entraîneraient une réduction des débranchements. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil estime qu'il ne serait pas conforme aux instructions d'ordonner aux Compagnies de mettre en oeuvre le PRD pilote de façon permanente.

19. Tout compte fait, le Conseil conclut qu'il ne convient pas d'ordonner aux Compagnies de mettre en ouvre le PRD pilote de façon permanente. Néanmoins, il ordonne aux Compagnies d'autoriser les clients qui participent actuellement au PRD pilote et qui continuent d'en respecter les modalités à continuer d'y adhérer.

II. Autres questions connexes

20. Dans le cadre de la présente instance, les Groupes de défense des consommateurs ont soutenu qu'avant d'effectuer un débranchement, il faudrait prendre des mesures pour améliorer l'accès aux services locaux, particulièrement pour les consommateurs à faible revenu qui risquent un débranchement de service contre leur gré.

21. Les Groupes de défense des consommateurs ont indiqué que, tel qu'établi dans la décision de télécom 2004-31, les ESLT ont l'obligation réglementaire de laisser à chaque client la possibilité de conclure et de respecter une entente raisonnable de paiements différés avant de débrancher le service local. Les Groupes de défense des consommateurs ont soutenu que les ESLT n'agissent pas ainsi de façon systématique, surtout parce que le terme « raisonnable » n'est pas clairement défini dans les modalités de service et que les ESLT se permettent donc de l'interpréter au cas par cas.

22. À cet égard, les Groupes de défense des consommateurs ont affirmé que les modalités de l'entente raisonnable de paiements différés offerte au client pourraient varier sensiblement selon qu'un client tenterait de fixer des modalités de remboursement directement avec l'ESLT ou qu'il demanderait aux Groupes de défense des consommateurs de négocier avec l'ESLT en son nom. Ils ont ajouté qu'en général, lorsqu'ils agissent au nom d'un client, l'ESLT accorde entre trois et six mois au client pour rembourser sa dette; toutefois, il est fréquent pendant la première période de négociation d'une entente que l'ESLT demande au client de rembourser la totalité des montants dus au plus tard à la prochaine date de facturation. Les Groupes de défense des consommateurs ont également soutenu qu'une telle demande de paiement ne constitue pas une entente raisonnable de paiements différés.

23. Les Groupes de défense des consommateurs ont affirmé que la raison initiale pour laquelle un PRD était établi après un débranchement était l'incapacité des consommateurs à faible revenu de négocier et de conclure une entente raisonnable de paiements différés avant que le service ne soit débranché.

24. Les Groupes de défense des consommateurs ont fait remarquer que le montant de la dette moyenne accumulée par un client dont le service est débranché est élevé pour les consommateurs à faible revenu et ils estimaient qu'il serait possible d'améliorer l'accès de ces clients aux services locaux en bonifiant les mesures de gestion du crédit offertes avant que le montant de la dette ne devienne insurmontable.

25. Les Compagnies n'étaient pas d'accord avec les Groupes de défense des consommateurs et elles ont affirmé avoir respecté leur obligation réglementaire visant à offrir des ententes raisonnables de paiements différés. Elles ont ajouté que leurs ententes de paiements différés sont souples et tiennent compte de l'abordabilité du remboursement réclamé, des services utilisés, de l'historique des paiements, du revenu du client et des justifications concernant des manquements antérieurs.

26. Certaines des Compagnies ont indiqué que, pour empêcher qu'une dette ne prenne des proportions alarmantes, elles informent leurs clients lorsque leurs comptes présentent un nombre inhabituel de messages facturables. Les Compagnies n'estimaient donc pas nécessaire de prendre d'autres mesures de gestion du crédit.

Résultats de l'analyse du Conseil

27. Le Conseil fait remarquer que, pour les Compagnies, la dette moyenne par client dont le service est débranché contre son gré se situe entre 400 et 500 $, et que la dette de certains clients excède 3 300 $6 Le Conseil estime que le montant de la dette moyenne est élevé, surtout pour les consommateurs à faible revenu.

28. Le Conseil indique que, selon leurs modalités de service, les ESLT ne sont pas autorisées à débrancher ou à menacer de débrancher les services tarifés d'un client qui n'a pas payé ses factures si ce client est prêt à conclure et à respecter une entente raisonnable de paiements différés.

29. Le Conseil estime que les Compagnies n'ont pas offert, dans tous les cas, des ententes de paiements différés suffisamment flexibles. À cet égard, il estime qu'une entente de paiements différés selon laquelle le paiement de la totalité des arriérés est exigé dans un très court délai (par exemple, au plus tard à la prochaine date de facturation) ne serait pas conforme aux modalités de service des ESLT. Selon le Conseil, offrir des ententes de paiements fermes, particulièrement aux consommateurs à faible revenu, entraînerait probablement des débranchements qui, autrement, auraient pu être évités.

30. Le Conseil rappelle aux ESLT leurs obligations à cet égard en vertu de leurs modalités de service. Il invite les ESLT à revoir leurs pratiques concernant l'établissement des modalités de telles ententes de remboursement de dettes afin de réduire encore plus le nombre de débranchements évitables.

31. Le Conseil estime également qu'il serait avantageux pour les consommateurs d'être informés rapidement d'une augmentation soudaine et considérable de leur dette (plutôt que d'attendre jusqu'à la prochaine facture), afin qu'ils puissent prendre les mesures nécessaires pour éviter le débranchement. Le Conseil encourage les ESLT à prendre des mesures pour informer rapidement leurs clients des augmentations soudaines et considérables des montants dus.

32. Finalement, le Conseil indique que les questions de gestion du crédit liées aux services faisant l'objet d'une abstention relèvent du mandat du Commissaire aux plaintes relatives aux services de télécommunications inc. (CPRST), tel qu'établi dans la décision de télécom 2007-130. Le Conseil fait remarquer que le mandat du CPRST consiste, entre autres, à effectuer le suivi des plaintes, à cerner les tendances de l'industrie et à élaborer des codes ou des normes applicables à l'industrie.

33. Le Conseil estime approprié que le CPRST examine les questions de gestion du crédit liées à l'amélioration de l'accès aux services locaux.

34. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil réclame que le CPRST surveille et contrôle les plaintes liées a) aux questions de gestion du crédit et b) aux politiques de rebranchement de ses membres fournisseurs de services de télécommunication, afin de déterminer si d'autres mesures, par exemple l'élaboration d'un code applicable à l'industrie, sont nécessaires.

Secrétaire général

Documents connexes

Ce document est disponible, sur demande, en média substitut, et peut également être consulté en version PDF ou en HTML sur le site Internet suivant : www.crtc.gc.ca

Notes de bas de page

[1] La politique de débranchement des ESLT a été adoptée dans la décision de télécom 2006‑15 pour les marchés de services locaux faisant l'objet d'une abstention de la réglementation.

[2] La décision de télécom 2005‑38 faisait référence à Aliant Telecom Inc., laquelle fait maintenant partie de Bell Aliant, et à TELUS Communications Inc., désormais la Société TELUS Communications.

[3] Dans la présente décision, le terme « Groupes de défense des consommateurs » fait référence collectivement au Centre pour la défense de l'intérêt public, à titre de conseiller de l'Organisation nationale anti‑pauvreté, et à l'Union des consommateurs.

[4] Les objectifs de la Loi invoqués sont les suivants :

a) a favoriser le développement ordonné des télécommunications partout au Canada en un système qui contribue à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure sociale et économique du Canada et de ses régions;
b) permettre l'accès aux Canadiens dans toutes les régions - rurales ou urbaines - du Canada à des services de télécommunication sûrs, abordables et de qualité;
f) favoriser le libre jeu du marché en ce qui concerne la fourniture de services de télécommunication et assurer l'efficacité de la réglementation, dans le cas où celle‑ci est nécessaire;
h) satisfaire les exigences économiques et sociales des usagers des services de télécommunication.

[5] Présenté conformément à la décision de télécom 96‑10.

[6] Selon les dettes cumulées par les abonnés du PRD pilote.

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