ARCHIVÉ -Décision de radiodiffusion CRTC 2011-286

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Référence au processus : 2010-847

Ottawa, le 3 mai 2011

Société Radio-Canada
L’ensemble du Canada

Demande 2010-1493-5, reçue le 21 septembre 2010

bold – modification de licence

Le Conseil approuve, sous réserve de modification, la demande de la Société Radio-Canada en vue de modifier la nature de service du service de programmation d’émissions spécialisées de catégorie 1 appelé bold. Des opinions minoritaires des conseillers Peter Menzies et Marc Patrone sont jointes à la présente décision.

Introduction

1.      Dans bold – modification de licence, décision de radiodiffusion CRTC 2010-214, 14 avril 2010 (décision de radiodiffusion 2010-214), le Conseil a refusé la demande de la Société Radio-Canada (SRC) en vue de modifier la licence de radiodiffusion de son service d’émissions spécialisées de catégorie 1 appelé bold afin de changer la condition de licence qui porte sur la nature du service. Le Conseil note l’argument de la SRC selon lequel elle doit faire face à des défis quant à la disponibilité des émissions produites expressément pour refléter la perspective rurale, et aux restrictions budgétaires qui limitent la production de contenu original pour ce genre d’émissions. Ainsi, le Conseil accepte que la SRC repositionne la stratégie de programmation de bold de manière à aplanir ces difficultés tout en conservant son orientation qui est celle d’un service conçu pour les Canadiens des régions rurales et qui tient compte de leurs intérêts et de leur réalité. Par conséquent, le Conseil a ordonné à la SRC de lui soumettre une nouvelle proposition de programmation qui s’assurerait de respecter ce qui suit :

2.      En guise de réponse, la SRC a déposé une demande en vue de modifier la licence de radiodiffusion de bold afin de remplacer la condition de licence relative à la nature de son service. La condition actuelle se lit comme suit :

Le titulaire doit offrir un service national de télévision spécialisée de catégorie 1 de langue anglaise destiné aux familles canadiennes des régions rurales, et particulièrement orienté vers les adultes âgés de 25 à 54 ans. Toutes les émissions d’information, d’échanges et de divertissement constituant la programmation devront être présentées dans une perspective rurale.

Aux fins de la présente condition, le terme « rural » définit des individus vivant à l’extérieur des grands centres urbains, au sein de petites communautés et qui, de manière générale, tirent leurs moyens de subsistance de la terre ou de la mer ou de l’exploitation d’entreprises directement liées à celles-ci. 

3.      La SRC suggère de remplacer cette condition par la suivante :

Le titulaire doit offrir un service national de télévision spécialisée de langue anglaise de catégorie A destiné aux adultes âgés de 25 à 54 ans. La programmation se composera d’émissions d’information, d’échanges et de divertissement dont le but est de présenter à des auditoires nationaux et régionaux la réalité des diverses régions du Canada, y compris celle des régions rurales et non urbaines. Le service aura pour mandat de présenter dans sa programmation le portait unique des régions du Canada et des émissions traduisant la réalité dans laquelle vivent les Canadiens des régions rurales.

Aux fins de la présente condition, l’expression « Canadiens des régions rurales » désigne les personnes provenant des trois segments distincts des populations rurales telles que définies par Statistique Canada, à savoir les personnes vivant dans des régions rurales non adjacentes à des régions métropolitaines, dans des régions rurales adjacentes à des régions métropolitaines et dans des régions rurales septentrionales.

4.      Dans sa demande accompagnée d’un échantillon de sa grille horaire, la SRC a fait valoir que sa proposition tenait compte des préoccupations du Conseil énoncées dans la décision de radiodiffusion 2010-214. Elle a précisément indiqué que :

5.      La SRC a indiqué que le seul moyen qui lui permettrait de répondre aux préoccupations du Conseil en vertu de la définition actuelle de la nature du service consisterait à réaliser chaque année environ 250 heures de nouvelles productions indépendantes et internes, à faible coût; ce qui rendrait le service non viable d’un point de vue financier. De plus, le titulaire a fait remarquer que cette modification à la licence de bold lui permettrait, grâce à la stratégie de programmation générale du réseau, d’améliorer sa capacité à remplir une partie de son mandat en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, soit « refléter la globalité canadienne et rendre compte de la diversité régionale du pays, tant au plan national qu’au niveau régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions ». 

6.      Le Conseil a reçu plusieurs interventions favorables à cette demande ainsi qu’une intervention en opposition de la part du Groupe de diffuseurs indépendants (GDI). Les interventions et la réplique du titulaire peuvent être consultées sur le site web du Conseil, www.crtc.gc.ca, sous « Instances publiques ».

Analyse et décisions du Conseil

7.      Conformément à la décision de radiodiffusion 2010-214, le Conseil estime que les questions à examiner dans sa prise de décision sont les suivantes :

La grille horaire proposée comprend-elle des émissions qui reflètent la réalité des Canadiens des régions rurales?

8.      Le Conseil convient avec GDI que la grille horaire proposée par la SRC ne privilégie pas une programmation rurale puisque seulement 14 heures de cette grille de 42 heures sont conformes à la nature du service proposée. En outre, une analyse plus approfondie révèle que sur ces 14 heures, seulement 8 d’entre elles reflètent essentiellement ou particulièrement la réalité des régions rurales et non urbaines du Canada. Tout comme GDI, le Conseil estime que même si certaines émissions diffusées par les services spécialisés peuvent être indirectement reliées à la nature du service, comme le soutient la SRC, l’ensemble de la programmation de ces services doit correspondre à la nature du service.

9.      Le Conseil note que, tel qu’exigé, la SRC a proposé une grille horaire comportant une programmation rurale. Le Conseil s’attend toutefois à ce que le titulaire propose une grille horaire qui corresponde entièrement à la nature du service proposée, dont le but est de refléter la réalité des diverses régions du Canada, notamment celle des régions rurales et non urbaines.

La nouvelle nature du service proposée est-elle suffisamment précise et représentative de la stratégie de programmation?

10.  GDI a fait valoir que la proposition de nature du service proposée est trop vaste et ne permet pas de garantir une orientation de programmation qui tient compte des intérêts et de la réalité des Canadiens des régions rurales.

11.  En guise de réponse, la SRC a indiqué qu’il est nécessaire de réviser la description du service afin de demeurer fidèle à son but initial, soit favoriser la diversité au sein du système de radiodiffusion et offrir un service aux populations rurales mal desservies, tout en proposant une programmation régionale. La SRC ajoute que la description de la nature du service de bold doit définir d’une manière moderne et efficace les Canadiens des régions rurales.

12.  Le Conseil note que la proposition de modification de la définition des Canadiens des régions rurales proposée par la SRC s’inspire de la définition du Canada rural de Statistique Canada. Le Conseil note également que la définition proposée ne tient compte que de la situation géographique de ces populations, tout comme la définition actuelle. Elle fait abstraction de l’emploi. Le Conseil estime qu’elle constitue un bon point de départ pour définir l’expression « Canadiens des régions rurales ». Toutefois, le Conseil est d’avis qu’il convient également de définir les « émissions dont le but est de refléter la réalité de diverses régions du Canada » de sorte que la nature du service soit suffisamment précise. Par conséquent, le Conseil a révisé la nature du service proposée pour ajouter une définition précise de la programmation régionale.

Le nouveau service concurrencera-t-il un service de catégorie A?

13.  GDI déclare que la SRC ne garantit pas que toute la programmation arts et spectacle du service reflètera la vie en milieu rural ou s’inscrira dans une perspective rurale. Ainsi, GDI estime que le service entrera en concurrence avec des services de catégorie A.

14.  En guise de réponse, la SRC a fait valoir que les commentaires de GDI sur la question de la concurrence ayant trait au genre ne devraient pas être tenus en compte puisque bold ne pose pas de problème de concurrence pour les services spécialisés exploités par ses membres. La SRC ajoute que les titulaires de Showcase et de Bravo!, soit les deux services qui, selon le Conseil, subiraient la concurrence de bold si les émissions de celle-ci n’étaient plus tenues d’adopter une perspective rurale[1], n’ont pas déposé d’intervention à l’égard de la présente demande.

15.  Le Conseil estime que le fait d’ajouter une définition de programmation régionale à la proposition de la nature du service et d’exiger que la grille horaire inclue une programmation qui soit le reflet des régions rurales et non urbaines du Canada permettra d’assurer que le service ne concurrencera aucun service de catégorie A. Néanmoins, le Conseil souhaite rappeler à la SRC que toute la programmation de bold doit être conforme à la nature de son service.

Conclusion

16.  Le Conseil estime que la demande de la Société Radio-Canada (SRC) en vue de modifier la nature du service de bold en incluant la programmation régionale est conforme aux exigences et objectifs énoncés dans la décision de radiodiffusion 2010-214. Par conséquent, le Conseil approuve, sous réserve de modification, la demande de la SRC en vue de modifier la licence de radiodiffusion du service de programmation d’émissions spécialisées de catégorie 1 appelé bold afin de remplacer la condition de licence relative à la nature du service. Le Conseil impose la condition de licence ci-dessous :

Le titulaire doit offrir un service national de programmation d’émissions spécialisées de catégorie 1 de langue anglaise destiné aux adultes âgés de 25 à 54 ans. La programmation sera composé d’émissions d’information, d’échanges et de divertissement destinées à présenter à des auditoires régionaux et nationaux la réalité des diverses régions du Canada, y compris celle des régions rurales et non urbaines. Le service aura pour mandat de présenter dans sa programmation le portrait unique des régions du Canada, et des émissions traduisant la réalité dans laquelle vivent les Canadiens des régions rurales.

Aux fins de cette condition de licence, l’expression « Canadiens des régions rurales » désigne les personnes provenant des trois segments distincts des populations rurales telles que définies par Statistique Canada, à savoir les personnes vivant dans des régions rurales non adjacentes à des régions métropolitaines, dans des régions rurales adjacentes à des régions métropolitaines et dans des régions rurales septentrionales.

Aux fins de cette condition de licence, les « émissions destinées à présenter la réalité des diverses régions du Canada » sont des émissions de langue anglaise d’une durée minimale de 30 minutes. Dans le cas où ces émissions seraient accompagnées de pauses publicitaires, celles-ci doivent être d’une durée raisonnable et moindre. Les prises de vue principales de ces émissions ont eu lieu au Canada, à plus de 150 kilomètres de Montréal, de Toronto ou de Vancouver. Les émissions dont les prises de vue principales ont eu lieu sur l’île de Vancouver seront aussi considérées comme des émissions réalisées en région.

Les émissions de nouvelles (catégorie 1), d’analyses et d’interprétation (catégorie 2), de reportages et d’actualités (catégorie 3), ainsi que les émissions de sport (catégorie 6) sont exclues.

17.  Le Conseil rappelle à la SRC que la programmation de bold doit être conforme à la définition de la nature de son service. Le Conseil étudiera la mise en œuvre de la stratégie de programmation de la SRC lors du renouvellement de licence afin de s’assurer que bold est exploité conformément à la nature de son service et que la totalité de la programmation est le reflet des diverses régions du Canada, y compris celle des régions rurales et non urbaines.

Secrétaire général

*Cette décision doit être annexée à la licence.

Opinion minoritaire du conseiller Peter Menzies

Dans la présente décision, le Conseil autorise la SRC, à titre d’exploitant du service de catégorie A (ou 1) connu à l’origine sous le nom de Land and Sea, renommé ensuite Country Canada mais exploité depuis un certain temps sous le nom de bold, à modifier la nature du service correspondant à la licence d’origine.

L’argument qui a prévalu est que toute autre décision aurait été injuste à l’endroit de la SRC. En effet, le Conseil a autorisé beaucoup d’autres exploitants de services de catégorie A (dont les services exclusivement numériques de catégorie A constituent un sous-ensemble) à faire de même. En ce sens, et seulement en ce sens, la décision est équitable.

Comme le Conseil fait preuve d’« équité » envers la SRC, la décision présente un processus décisionnel opportun qui fait passer les intérêts particuliers à court terme des radiodiffuseurs, avant les intérêts à long terme du système et des consommateurs. Et c’est là l’objet de la présente opinion minoritaire.

Ceux qui ont le privilège d’exploiter un canal de catégorie A ont été autorisés à le faire parce qu’ils ont proposé une programmation consacrée à un champ d’intérêt ou « genre » considéré par le Conseil comme une contribution à la diversité de la programmation. Pour des raisons de rentabilité et de protection contre la domination des radiodiffuseurs étrangers, le Conseil oblige les entreprises de distribution de radiodiffusion, ou EDR (par câble et par satellite), à distribuer ces services et à payer à leurs exploitants un tarif négocié entre les deux parties. Ce tarif, ou plus précisément ces tarifs, étant donné que le nombre de titulaires de catégorie A se chiffre étonnamment à 67*, sont alors refilés aux consommateurs qui voient augmenter leurs factures de câble ou de satellite. Les tarifs précis ne sont pas divulgués puisqu’ils font l’objet d’une transaction privée entre titulaire et EDR. Cependant, le personnel du Conseil estime que d’après les données publiques disponibles, ces tarifs oscillent, selon les services, entre 0,04 et 1,51 $ par abonné (hormis les tarifs d’abonnement seulement). Si l’on admet, en se basant sur des chiffres conservateurs, que le coût moyen refilé aux clients des EDR est de 0,25 $ par canal par mois pour seulement 69 canaux (voir ci-dessous), l’addition s’élève à 17,25 $ par facture mensuelle de câble ou de service par satellite de radiodiffusion directe (SRD).

*(The Weather Network et Teletoon détiennent chacune une licence en vue d’exploiter deux services en français et en anglais, ce qui signifie que le chiffre 69 est plus exact. De plus, il existe six services payants, soit cinq en anglais et un en français, pour un total de 75 canaux de catégorie A. Les ordonnances de distribution pour certains canaux à caractère ethnique ont plus de flexibilité. Par ailleurs, tous les fournisseurs de câble et de SRD doivent distribuer tous ces services, en plus des canaux locaux, régionaux, éducatifs provinciaux et communautaires qui doivent être distribués dans leurs marchés respectifs. En outre, il existe environ une demi-douzaine de services 9(1)h) qui bénéficient aussi d’une distribution obligatoire (CPAC, APTN, etc.). Il existe des services de télévision à la carte (TVC) dont la distribution est imposée par le Conseil).

Les exploitants de catégorie A bénéficient aussi d’une « protection de genre », ce qui signifie que la nature de leur service est protégée contre la concurrence. Par exemple, si quelqu’un obtenait une licence de catégorie A pour exploiter un canal consacré au rodéo, personne ne pourrait être autorisé à créer ou offrir un service concurrent.

Certains de ces canaux ne sont disponibles que sur abonnement, ce qui permet au consommateur de décider ce qu’il veut payer. Beaucoup d’autres canaux, encadrés par une gamme de règles et réglementations, font l’objet d’ordonnances qui précisent leur mode de distribution obligatoire, c’est-à-dire au service de base, sur un volet à haute pénétration, etc. Dans de tels cas, on peut dire que le Conseil impose pratiquement ces canaux aux consommateurs, peu importe que ces derniers s’y intéressent ou pas. (À la décharge du Conseil, il faut rappeler qu’à partir du 31 août 2011, date d’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation quant au EDR, il n’y aura plus d’obligations sur la façon de distribuer les services de catégorie A, bien que leur distribution demeure obligatoire).

Certains de ces services ont connu un succès phénoménal. À titre d’exemple, TSN a abandonné ses béquilles réglementaires pour négocier son tarif avec les EDR, en fonction de sa popularité auprès des consommateurs. D’autres n’ont pas été capables de se bâtir des auditoires suffisants pour rentabiliser leurs investissements, malgré les mesures réglementaires favorables. Par conséquent, ils ont demandé au Conseil, et obtenu, une diminution importante de leurs obligations (mais pas de leurs droits et privilèges). Il en résulte que bien des programmations actuellement offertes par les exploitants spécialisés de catégorie A ressemblent peu, ou même pas du tout au genre spécifique de programmation qui avait justifié l’attribution de licences, l’imposition de coûts au consommateur et la suppression de la concurrence.

Le fait de permettre la dilution des « genres » de catégorie A dans un fouillis croissant est un manque de respect envers les intérêts des consommateurs. C’est également un obstacle à l’innovation et à l’excellence qui sont les objectifs de l’approche d’entrée libre associée aux services de catégorie B (ou 2), et c’est finalement une ingérence dans le cycle de vie normal du marché. On crée ainsi un surplus de produits qui, à long terme, menace non seulement la santé de l’industrie, mais augmente parallèlement les coûts du système pour le consommateur et réduit ses choix. La preuve est que, dans toute l’histoire de l’attribution des licences depuis 1993, le personnel du Conseil n’a trouvé qu’un seul cas de titulaire qui a fermé son service, soit the Women’s Sports Network.

De plus, en maintenant un régime inutilement coûteux pour les consommateurs et les distributeurs, le Conseil n’aide pas l’industrie à s’adapter à l’environnement des nouveaux médias, ni à la concurrence de l’information alternative et des fournisseurs de divertissement du 21e siècle. Les radiodiffuseurs, les producteurs et la communauté artistique devraient s’en inquiéter. Ils devraient se demander s’il est dans leur intérêt à long terme que la réglementation et les consommateurs continuent à subventionner même les exploitants de catégorie A les moins populaires, si cela signifie que les EDR se retrouvent trop handicapées pour concurrencer la « télé » Internet (étrangère et domestique).

Cette décision a été approuvée avec peu de voix de majorité. Avec un peu de chance, l’approbation de cette décision et ma divergence d’opinion démontreront que le Conseil doit abandonner son attitude protectionniste pour adopter les principes du 21e siècle qui privilégient des relations entre producteurs, fournisseurs et consommateurs, ce qui permettra aux Canadiens de payer et de regarder ce qu’ils veulent et comme ils le veulent, dans la mesure du possible.

Perpétuer un processus décisionnel qui réduit le choix des consommateurs, maintient des coûts injustifiables et brime la création artistique et l’innovation commerciale ne sert ni les intérêts des Canadiens, ni ceux du système qui a le mandat de les servir.

Opinion minoritaire du conseiller Marc Patrone

Je ne partage pas l’opinion exprimée dans la présente décision par mes estimés confrères car je tiens à signaler que bold représente le bris d’une promesse faite aux Canadiens, celle de fournir un service « entièrement présenté dans une perspective rurale ». La décision d’autoriser ce service spécialisé était une question d’intérêt public et, ultimement, c’est au public que l’on doit rendre des comptes sur a) l’échec du titulaire à livrer ce qu’il avait promis et b) l’échec du régulateur à tenir ce titulaire pour responsable.

Par la présente décision, nous permettons au radiodiffuseur public de transformer son canal spécialisé en un service que je considère comme SRC 2, c’est-à-dire une extension de son service en direct. En fait nous récompensons le radiodiffuseur public pour la renégociation à postériori de ses obligations et essentiellement pour s’être moqué du processus d’attribution des licences. Au cours de ma carrière au Conseil, je n’ai assisté à aucune autre instance où le produit livré par un titulaire diffère à ce point de ses engagements originaux.

Je peux comprendre que le Conseil ait trouvé bonne l’idée de la SRC et de Corus Entertainment lors de leur demande de licence, en 2000, qui visait à lancer un canal devant refléter le style de vie des Canadiens des régions rurales. Au Canada, les populations rurales sont un groupe mal desservi. Si l’entreprise privée n’avait pas à elle seule la motivation commerciale nécessaire pour servir cette population, peut-être qu’un partenariat public-privé pourrait offrir ce service. Corus apporterait son expérience en exploitation des services spécialisés et de stations de radio alors que la SRC, à titre d’actionnaire minoritaire, offrirait sa capacité de production de programmation, y compris son « matériel d’archives dont une grande partie n’a pas été surexposée. »

Comme le Conseil l’a souligné dans la décision 2000-453 :

La majorité des services canadiens de télévision actuels est axée sur le milieu urbain. Ce nouveau service mettra l’accent sur les valeurs et l’art de vivre du milieu rural.

Le Conseil a posé un geste audacieux et il a accordé une licence pour un service qui offrirait une voix unique aux Canadiens des régions rurales. Comme il a été précisé dans la décision, ce service serait :

[…] un service qui incarne la tradition tout en faisant siennes les réalités rurales des diverses régions du Canada…un service qui chante le passé mais qui vogue vers l’avenir… un service qui témoigne de la vie et de l’économie rurales au Canada. 

En retour, le demandeur s’est assuré une licence fort convoitée de catégorie 1, en faisant un service que les distributeurs « doivent offrir » aux consommateurs. Sa distribution n’a pas à être négociée puisqu’elle est garantie par la nature même de la licence. Le Conseil a accepté l’engagement du demandeur sur sa bonne foi. C’était une autre époque

En 2002, soit deux ans après l’attribution de la licence, la SRC s’est assurée de devenir l’unique propriétaire et a rebaptisé la station. Country Canada allait par la suite s’appeler bold, et on a bientôt compris que les changements ne se limiteraient pas au nom. Pendant quelques temps, la SRC a utilisé ce service pour diffuser un contenu qui s’est révélé en concurrence avec Bravo! et Showcase. Le service est entré en conflit avec le régulateur qui a ordonné à la SRC de comparaître à une audience pour expliquer pourquoi elle ne s’était pas conformée à ses conditions de licence. Dans sa réplique, le radiodiffuseur a invoqué un sondage selon lequel les téléspectateurs des régions rurales canadiennes disaient apprécier sa programmation. Et le Conseil ne s’étant pas laissé influencer par ce fait, le radiodiffuseur a décidé de ne pas contester « l’accusation » mais n’a pas pour autant rétabli le service prévu.

Aujourd’hui, où retrouve-t-on « la réalité dans laquelle vivent les Canadiens des régions rurales »?  Il suffit de regarder au hasard un échantillon de ce que propose bold pour constater que la programmation se compose de séries et de films populaires américains ainsi que de tout ce que peuvent offrir les arts du spectacle. Sur son site web, bold vante aussi les émissions de Jian Ghomeshi, les spectacles du Cirque du Soleil, la série historique The Tudors, ainsi que le monde noir, miteux et fourbe du feuilleton britannique Funland. La SRC a même déplacé les matchs de la Coupe du monde de soccer sur bold. Bien que les canadiens des régions rurales puissent apprécier le sport, il est difficile d’admettre que la Coupe du monde de soccer puisse refléter leur style de vie, surtout que l’événement n’a rien de canadien.

À un moment donné, la direction de la SRC a estimé qu’il n’était pas dans son intérêt de respecter ses conditions de licence et elle a tout simplement décidé de les ignorer et de diffuser un contenu qui n’avait rien à voir avec l’auditoire qu’elle devait servir. En 2008, bold se décrivait elle-même comme « là où on retrouve le meilleur des arts du spectacle, les dramatiques les plus intelligentes et les comédies les plus audacieuses. » N’oubliez pas que le titulaire devait encore obtenir la permission du Conseil pour pouvoir s’éloigner de ses conditions de licence originales. Mais sans attendre, il a décidé d’aller de l’avant.

La SRC allègue que les conditions qui lui ont été imposées antérieurement menacent la viabilité du service. Selon le titulaire, il n’y a pas assez de programmation disponible axée sur le monde rural, même si dans la demande originale il faisait état de l’existence d’émissions pertinentes qui n’avaient pas été surexposées. Il a menacé de mettre fin au service. Je voudrais faire valoir que si la SRC ne peut ou ne veut pas faire ce qu’elle s’est engagée à faire, elle devrait renoncer à la licence plutôt que de diffuser ce qu’elle veut.

Et si vous croyez que c’est trop demander, alors pensez à l’intervention déposée par Independent Broadcasters Group (IBG) qui estime que la grille horaire ne reflète pas la réalité des Canadiens du milieu rural, que la nature du service est trop vaste et que le service semble toujours faire concurrence à des services spécialisés existants. IBG prétend de plus que le Conseil devrait ordonner à la SRC d’exploiter bold conformément à la nature du service ou renoncer à sa licence [je souligne].

La SRC a obtenu une licence pour livrer un produit qu’elle est loin d’avoir livré. Ce faisant elle s’est conduite de façon totalement irrespectueuse et même méprisante envers   le Conseil et ses processus. Malgré tout, une faible majorité de mes collègues a approuvé une décision autorisant bold, de la SRC, à poursuivre ses activités à des conditions bien moins contraignantes. Par exemple, le nouveau mandat du service sera de « présenter dans sa programmation le portrait unique des régions du Canada, et des émissions traduisant la réalité dans laquelle vivent les Canadiens des régions rurales ».

Il n’y a pas grand-chose ici qui oblige bold à différencier son contenu de celui de nombreux autres services qui, même par accident, se retrouvent obligés d’inclure quelques émissions qui reflètent la vie réelle dans les régions rurales du Canada. Au départ, le service devait épouser les valeurs rurales et, à l’arrivée, il en fait à peine mention. En fait, cette décision attribue à la SRC une licence qui lui permet de diffuser tout et n’importe quoi, y compris du sport, des nouvelles, des actualités, des émissions dramatiques et des émissions comiques.

Bien qu’il soit vrai que l’on ait demandé à bold de s’engager dans la programmation régionale, le service a la possibilité de se transformer en un canal à tout faire où la SRC peut diffuser des émissions aux cotes d’écoute prometteuses pour faire augmenter les revenus d’abonnement. Il n’y a rien d’original ici qui garantisse un statut de service spécialisé de catégorie 1. Pourquoi les télédistributeurs seraient-ils encore obligés d’offrir à leur clientèle un service qui n’apporte rien d’unique au système de radiodiffusion?

Pour conclure, j’aimerais rappeler que j’ai déclaré dès le début que le régulateur et le titulaire doivent ultimement rendre des comptes au public sur ce qui se passe quant à cette licence. Puisque c’est un processus public qui a mené à l’attribution de la licence de ce canal, le public est en droit de se demander ce qui est arrivé et pourquoi. Ce qui est encore plus troublant que le mépris avec lequel la SRC a ignoré ses conditions de licence, c’est que nous avons approuvé des changements qui ont réduit de façon significative l’engagement du service envers les communautés rurales du Canada. Je sais que j’emploie des mots un peu durs mais comment décrire autrement le gouffre qui sépare les promesses faites dans la demande originale et la réalité du service fourni. La licence est une propriété publique et doit être traitée avec le respect qui lui est dû. Elle a été accordée de bonne foi selon des modalités qui ont plus tard été traitées avec dédain et même avec mépris de la part du titulaire. Par égard pour le public, le titulaire devrait renoncer à la licence.

Note de bas de page

[1] Voir la décision de radiodiffusion 2010-214.

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