Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2012-596

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Référence au processus : 2012-366

Ottawa, le 30 octobre 2012

Approche révisée pour les grands groupes de radiodiffusion relativement aux dépassements de dépenses en émissions canadiennes crédités aux stations de télévision traditionnelle et aux services spécialisés

Par décision majoritaire, le Conseil estime judicieux de réviser de la façon suivante son approche par groupe relative aux dépassements de dépenses minimales en émissions canadiennes ou en émissions d’intérêt national admissibles à un report à la prochaine année de radiodiffusion : il supprime la condition limitant à 5 % de ces dépenses les dépassements admissibles à un report ainsi que l’obligation d’utiliser ces dépassements au cours de l’année de radiodiffusion subséquente.

Historique

1. Dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2010-167 (l’approche par groupe), le Conseil a énoncé un modèle conceptuel à l’égard des dépenses en émissions canadiennes (DÉC) et en émissions d’intérêt national (ÉIN) pour les grands groupes de propriété privés de langue anglaise qui détiennent des licences de télévision traditionnelle et spécialisée. Selon ce modèle, les grands groupes de propriété se voient autorisées à répartir le total de leurs DÉC entre leurs entreprises de programmation individuelles, dans la mesure où le montant total est entièrement dépensé. En plus d’encourager des décisions d’affaires efficaces, cette approche garantit qu’il n’y a pas de réduction des dépenses globales en programmation canadienne.

2. Dans la décision de radiodiffusion 2011-441, le Conseil a précisé les critères d’admissibilité des services en vertu de la nouvelle approche par groupe. Les services admissibles à cette approche sont limités aux stations de télévision traditionnelle, aux services de catégorie A et aux services de catégorie B comptant plus d’un million d’abonnés. De plus, puisque ces services admissibles disposent désormais de la souplesse de répartir le total des DÉC et ÉIN obligatoires entre leurs entreprises de programmation individuelles, le Conseil a établi des exigences précises en ce qui a trait aux dépenses excédentaires ou aux dépenses non versées au titre des DÉC et ÉIN.

3. Avant la décision de radiodiffusion 2011-441, les services de télévision payants et spécialisés étaient autorisés à reporter tous les dépassements de DÉC d’une année de radiodiffusion à toute autre année de la même période de licence, et ce, afin de satisfaire aux dépenses minimales à ce titre. Dans la décision de radiodiffusion 2011-441, le Conseil a déclaré que l’autorisation de reporter des dépassements (ou de rattraper des sous-utilisations) demeurerait un outil efficace permettant aux grands groupes de propriété privés de langue anglaise de gérer leurs DÉC et leurs dépenses en ÉIN, surtout dans le cas de projets pluriannuels. Cependant, il était d’avis que limiter à 5 % des dépenses le dépassement (ou la sous-utilisation) admissible à un report suffirait aux groupes pour gérer leurs obligations en matière de DÉC ou de dépenses en ÉIN, surtout que les groupes auraient également le choix de transférer ces dépenses d’un service admissible à l’autre. Dans la même décision, le Conseil a également précisé que les dépassements de dépenses au cours de toute année de radiodiffusion pourraient être crédités au titre des DÉC ou des dépenses en ÉIN au cours de l’année de radiodiffusion suivante. En outre, le Conseil a indiqué que tant les DÉC que les dépenses en ÉIN devaient être considérées comme des obligations minimales.

4. Dans les décisions de radiodiffusion 2011-444 et 2011-447, le Conseil a imposé une condition de licence relative à ce qui précède aux différents services de télévision traditionnelle ou services spécialisés admissibles affiliés aux groupes de propriété de radiodiffusion Bell Média inc. (Bell) et Rogers Media Inc. (Rogers). Une liste de ces services est énoncée à l’annexe 1 de ces décisions. Conformément aux décisions mentionnées ci-dessus, les services de télévision traditionnelle et les services spécialisés admissibles de Bell et de Rogers bénéficient présentement d’un crédit pour les dépenses excédant les exigences minimales au titre des DÉC et des ÉIN. Ce crédit se limite à 5 % des dépenses minimales et doit être utilisé au cours de l’année suivant la dépense. Les services admissibles des groupes Astral Media inc., Corus Entertainment Inc. et Shaw Media Inc. sont assujettis à la même exigence.

Les demandes

5. À la suite de la publication des décisions de radiodiffusion 2011-444 et 2011-447, le Conseil a reçu des demandes de Bell (2012-0374-4) et de Rogers (2012-0579-0) visant la modification des licences de radiodiffusion de leurs services de télévision traditionnelle et de leurs services spécialisés admissibles afin que la limite de 5 % des DÉC et des dépenses en ÉIN quant aux dépassements pouvant être reportés ainsi que l’obligation d’utiliser ces dépassements au cours de l’année de radiodiffusion suivante soient suprimées. Les demandeurs n’ont proposé aucune modification à la limite de 5 % relative à la sous-utilisation des dépenses.

6. Rappelant que l’approche par groupe avait pour but d’accorder plus de souplesse aux titulaires qui soutiennent la programmation canadienne, Bell a fait valoir que la décision du Conseil concernant les dépassements de DÉC ne cadrait pas avec cette politique et son application pratique. Bell a ajouté que le plafond actuel de 5 % relatif aux dépassements de DÉC et l’obligation d’engager le crédit au cours de l’année de radiodiffusion suivante restreignaient sa capacité à entreprendre les meilleurs projets à mesure qu’ils se présentent, ce qui pose des problèmes quant à la mise en onde des émissions. À titre d’exemple, Bell a indiqué que compte tenu du prix élevé des droits sur les Jeux olympiques et du fait que les exigences en matière de DÉC sont calculées en fonction des revenus de l’année précédente, les dépenses engagées au titre des DÉC dépassent largement le seuil de DÉC requis, et ce, même en tenant compte du 5 % de dépassement prévu. En outre, le demandeur a fait valoir que la question d’un plafond pour les dépassements de DÉC n’ayant pas été abordée à l’audience publique consacrée à l’attribution de licences par groupe de propriété, les titulaires n’ont jamais eu l’occasion de faire part de leurs observations à ce sujet.

7. Pour sa part, Rogers a affirmé que le plafond de 5 % limitait sa capacité à exploiter ses stations de télévision traditionnelle Citytv, puisque, selon lui, ce plafond n’allouait pas suffisamment de souplesse et parce que certaines de ses dépenses étaient déjà consacrées à des productions à gros budget pendant la première année de sa période de licence. En outre, le demandeur a estimé que le raisonnement du Conseil pour justifier le plafond de 5 % ne s’appliquait pas dans son cas, étant donné qu’il ne faisait pas partie des groupes désignés au moment des renouvellements de licence par groupe de propriété, et parce que, contrairement aux groupes désignés, le demandeur ne peut répartir les DÉC et les dépenses en ÉIN entre ses différents services.

Appel aux observations

8. Après avoir examiné les demandes de Bell et de Rogers, le Conseil a estimé que ces demandes visaient essentiellement la modification du volet de son approche par groupe concernant la gestion des dépassements de DÉC et des dépenses en ÉIN, et que l’interprétation des conditions de licence en question pourrait avoir une incidence sur bon nombre de parties, y compris les autres groupes exploités dans des conditions semblables ainsi que l’industrie de la production, qui bénéficie de ces exigences en matière de DÉC et d’ÉIN. Ainsi, dans l’avis de consultation de radiodiffusion 2012-366, le Conseil a estimé approprié de lancer un processus public dans le but de se pencher sur l’incidence que l’approbation des demandes présentées par Bell et Rogers pourrait avoir sur sa politique à l’égard des dépassements de DÉC.

Interventions

9. Le Conseil a reçu un certain nombre d’interventions en réponse à l’avis de consultation de radiodiffusion 2012-366. Le dossier public de la présente instance peut être consulté sur le site web du Conseil, www.crtc.gc.ca, sous « Instances publiques ».

10. Tous les radiodiffuseurs sont en faveur de la suppression de la condition limitant à 5 % des dépenses le report des dépassements ainsi que de celle relative à l’obligation d’utiliser ces dépassements au cours de l’année de radiodiffusion suivante. Plusieurs d’entre eux notent qu’en dépit de l’objectif déclaré dans l’approche par groupe, soit d’accorder une plus grande souplesse, ces exigences sont en réalité plus contraignantes que les précédentes et ont un effet dissuasif au regard des dépassements de dépenses, ce qui nuit au secteur de la production indépendante. Ils allèguent aussi le besoin d’une plus grande souplesse afin d’être en mesure de s’engager en matière de programmation canadienne haut de gamme et de projets pluriannuels coûteux. Enfin, ils notent que, même si la limite des dépassements de dépenses était supprimée, ils satisferaient toujours à l’ensemble de leurs obligations à l’égard des DÉC au cours d’une période de licence.

11. Non seulement Shaw Media Inc. (Shaw) se déclare favorable à la suppression de la limite des dépassements de dépenses qui peuvent être reportés, mais il ajoute que le Conseil devrait augmenter à 10 % la limite relative à la sous-utilisation des dépenses.

12. Pour sa part, TELUS Communications Company (TELUS) s’oppose à la demande de Bell, mais non à celle de Rogers, en faisant remarquer que Rogers n’est pas touché, favorablement ou défavorablement, par l’approche par groupe. TELUS allègue que Bell cherche en réalité à augmenter ses dépenses en émissions de sports prestigieuses au détriment d’autres types de programmation canadienne. L’intervenant déclare que si le Conseil envisage une modification, il devrait alors limiter à 10 % les dépassements de dépenses admissibles à un report.

13. Le secteur de la création est divisé. Certains, comme l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) ainsi que l’Union des artistes, la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma, l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec et l’Alliance québécoise des techniciens et de l’image et du son (collectivement UDA/SARTEC/ARRQ/AQTIS), allèguent que l’approche accorde aux créateurs d’émissions canadiennes la garantie et la stabilité dont ils ont besoin et notent que les services de programmation en cause profitent déjà d’une très grande souplesse. Ces intervenants font aussi remarquer que l’approche ne limite en rien le montant que les radiodiffuseurs peuvent dépenser, mais ne fait que fixer le maximum des dépenses qu’ils peuvent réduire au cours du reste de la période de licence.

14. Par contre, d’autres intervenants du secteur de la création comme l’Association des producteurs de films et de télévision du Québec partagent l’avis des radiodiffuseurs selon qui cette approche a un effet dissuasif à l’égard des dépassements de dépenses. À ce sujet, le Canadian Media Production Association (CMPA) remarque que l’approche précédente ne suscitait aucune crainte parmi ses membres. Cette association indique aussi qu’elle comprend que le cycle de commande d’émissions puisse obliger les radiodiffuseurs à dépasser leurs obligations minimales en matière de DÉC et de dépenses en ÉIN certaines années; elle croit qu’il n’est pas dans le meilleur intérêt du système de créer une barrière réglementaire à cette situation par ailleurs largement acceptée. De même, l’Alberta Motion Picture Industries Association (AMPIA) se dit en faveur d’une plus grande souplesse afin que les radiodiffuseurs ne soient pas pénalisés pour s’être engagés dans des productions importantes. Cependant, l’AMPIA s’inquiète du volume des dépenses au cours d’une période de licence, dont la répartition devrait assurer à l’industrie de la production une certaine stabilité.

Analyse et décision du Conseil

15. Le Conseil fait remarquer que l’objectif de limiter à 5 % des DÉC et des dépenses en ÉIN les dépassements admissibles à un report était de réduire les variations du volume des dépenses d’une année à l’autre et d’assurer une certaine stabilité au cours d’une période de licence, surtout que les groupes bénéficient déjà de l’avantage de pouvoir répartir ces dépenses entre leurs différents services. En particulier, les dépassements de dépenses de l’un ou de plusieurs services d’un même groupe de radiodiffusion peuvent être appliqués contre les dépenses de tous les autres services du groupe, ce qui réduit d’autant les obligations des autres services en matière de DÉC et de dépenses en ÉIN. Ainsi, la limite des dépassements de dépenses n’a une incidence que lorsque l’ensemble des services d’un même groupe dépense davantage que 5 % des dépenses minimales totales du groupe.

16. Cependant, en se fondant sur les observations reçues au cours de la présente instance, le Conseil est préoccupé de l’effet inattendu de la modification, la limite de 5 % étant ou pouvant être perçue comme un maximum de dépenses excédentaires à ne pas dépasser au cours de toute année donnée. Comme l’ont noté plusieurs intervenants, cela peut nuire à la production d’émissions canadiennes haut de gamme et aux projets pluriannuels; en effet, les radiodiffuseurs ne sont pas incités à dépasser la limite de 5 %, parce qu’ils ne peuvent reporter leurs dépenses excédentaires au cours du reste de la période de licence.

17. En ce qui concerne la préoccupation générale à l’effet que les dépenses consacrées aux Jeux olympiques pourraient mener à une production réduite de contenu canadien au cours du reste de la période de licence, le Conseil note que, dans son approche par groupe, il a décidé de tenir compte des revenus de la présentation des Jeux olympiques pour établir les obligations du titulaire en matière de DÉC et d’exclure des divers groupes les services de catégorie C comme TSN, RDS et Rogers Sportsnet. Ainsi, seuls les revenus des stations de télévision traditionnelle comptent lorsqu’il s’agit d’évaluer l’incidence des Jeux olympiques dans le calcul des DÉC d’un groupe, ce qui réduit l’incidence des revenus des Jeux en cette matière.

18. De plus, en ce qui concerne la demande de Rogers et son allégation à l’effet qu’il est désavantagé par le Conseil parce qu’il ne bénéficie pas de la même souplesse que les groupes désignés, le Conseil partage son avis et estime que la condition de licence limitant à 5 % des DÉC ou des dépenses en ÉIN les dépassements admissibles à un report devrait être supprimée de la licence de ses stations de télévision traditionnelle Citytv, parce que ses motifs de l’imposer aux autres titulaires ne s’appliquent pas à Rogers.

19. Finalement, pour ce qui est de la préoccupation exprimée par l’ADISQ, l’UDA/SARTEC/ARRQ/AQTIS et la SCEP au sujet de la stabilité des fonds octroyés aux producteurs, le Conseil est d’avis que la limite de 5 % relative à la sous-utilisation suffit à assurer la prévisibilité et la stabilité des montants que les radiodiffuseurs investiront dans la production. En particulier, le Conseil estime que son approche sur la sous-utilisation suffit à garantir que les radiodiffuseurs verseront toujours un minimum d’argent dans le système et qu’ils rattraperont tout retard au cours de l’année de radiodiffusion suivante. Le Conseil est par conséquent d’avis que la demande de Shaw de modifier la règle sur la sous-utilisation pour augmenter la limite à 10 % n’est pas nécessaire.

Conclusion

20. À la lumière de tout ce qui précède, le Conseil estime, par décision majoritaire, qu’il convient de modifier l’approche par groupe afin de supprimer la condition limitant à 5 % des DÉC et des dépenses en ÉIN les dépassements de dépenses admissibles à un report. Par conséquent, dans les décisions de radiodiffusion 2012-597 et 2012-598, également publiées aujourd’hui, le Conseil a approuvé les demandes de Bell et de Rogers en ce sens. Les autres titulaires présentement assujettis à cette condition de licence peuvent déposer une demande en vue de la voir supprimer.

Secrétaire général

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