Décision de télécom CRTC 2019-249

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Ottawa, le 10 juillet 2019

Dossier public : 8661-J64-201811159

Iristel Inc. –Demande de redressement définitif concernant les augmentations tarifaires de Bell Canada pour certains circuits

Le Conseil rejette la demande de redressement définitif présentée par Iristel Inc. concernant les augmentations tarifaires de Bell Canada pour les services de transport fournis sur certains circuits.

Demande

  1. Le Conseil a reçu une demande de la part d’Iristel Inc. (Iristel), datée du 19 décembre 2018, dans laquelle la compagnie sollicitait des mesures de redressement provisoire et définitif pour un comportement anticoncurrentiel présumé de Bell Canada en ce qui concerne les tarifs qu’elle facture à Iristel pour des circuits associés à certains services de transport. Dans la décision de télécom 2019-86, le Conseil a rejeté la demande de redressement provisoire d’Iristel.
  2. En ce qui concerne le redressement définitif, Iristel a demandé ce qui suit :
    • si le Conseil conclut que Bell Canada a effectivement repris le monopole d’une partie ou de la totalité des services de transport le long des routes correspondant aux circuits en question, que le Conseil i) infirme sa décision de s’abstenir de réglementer les services le long de ces routes et ii) exige de Bell Canada qu’elle publie des tarifs pour ces services;
    • si le Conseil conclut que Bell Canada fait de la discrimination injuste envers Iristel, et non envers les autres clients, à l’égard d’une partie ou de la totalité des services de transport le long des routes correspondant aux circuits en question, que le Conseil publie une ordonnance exigeant que Bell Canada loue à Iristel les circuits en question selon des modalités qui sont au moins aussi avantageuses que celles accordées à tout autre client de Bell Canada se trouvant dans une situation similaire en ce qui concerne les niveaux de demande pour les mêmes services le long des mêmes routes;
    • que le Conseil publie une ordonnance enjoignant à Bell Canada de donner à Iristel un préavis d’un minimum de 42 mois à compter de la date à laquelle le Conseil publie ses conclusions finales dans le cadre de la présente instance, avant que toute hausse précise des tarifs en question n’entre en vigueur;
    • que le Conseil publie une ordonnance enjoignant à Bell Canada de donner à Iristel un préavis raisonnable de toute augmentation des prix de plus de 20 % pour les circuits en question, et que ce préavis raisonnable accorde à Iristel suffisamment de temps pour changer de fournisseur de services de transport avant la date d’entrée en vigueur de la majoration tarifaire.

Contexte

  1. Iristel et Bell Canada ont conclu une entente-cadre de communication pour les services non tarifés de gros (ci-après appelée le « contrat ») en vertu de laquelle Bell Canada fournit à Iristel certains services de liaison spécialisée intercirconscriptions (LSI) / services de données numériques et des services de réseau numérique propre aux concurrents (RNC) de gros (ci-après appelés les « services en question »). Selon les modalités du contrat, Bell Canada peut, dans certaines circonstances, modifier les frais facturés si elle fournit un préavis d’au moins 60 jours.
  2. Dans la décision de télécom 97-20, le Conseil s’est abstenu de réglementer une grande partie des services LSINote de bas de page 1. Toutefois, le Conseil a conservé certains pouvoirs, y compris ceux en vertu de l’article 24 (concernant l’imposition de conditions de commercialisation) de la Loi sur les télécommunications (la Loi)Note de bas de page 2.
  3. Dans la décision de télécom 2008-17, le Conseil s’est abstenu de réglementer certains aspects des services RNCNote de bas de page 3. Toutefois, le Conseil a conservé certains pouvoirs, y compris ceux que lui confère l’article 24 de la Loi (pour imposer des conditions futures aux services soustraits à la réglementation, au besoin), ainsi que les paragraphes 27(2), 27(3) et 27(4) de la Loi (pour régler toute question de discrimination injuste ou de préférence indue).
  4. Aux termes du contrat entre Bell Canada et Iristel, les ententes pour les circuits en question ont commencé à expirer le 15 janvier 2019. Des représentants d’Iristel et de Bell Canada ont entrepris des négociations au printemps 2018 pour le renouvellement du contrat. Dans une lettre datée du 16 novembre 2018, Bell Canada a fourni à Iristel un préavis de 60 jours l’informant des hausses tarifaires pour les services fournis sur les circuits en question. Aucune nouvelle entente n’a été conclue avant l’expiration du contrat, ce qui a entraîné la migration des circuits vers des tarifs mensuels.

Questions

  1. Le Conseil a déterminé qu’il devait se prononcer sur les questions suivantes dans la présente décision :
    • Le Conseil devrait-il infirmer sa décision de s’abstenir de réglementer les services en question?
    • Les hausses tarifaires de Bell Canada entraînent-elles une discrimination injuste envers Iristel?
    • Bell Canada s’accorde-t-elle une préférence indue relative à son préavis de 60 jours concernant les hausses tarifaires?

Le Conseil devrait-il infirmer sa décision de s’abstenir de réglementer les services en question?

Positions des parties

  1. Iristel a signalé que les majorations tarifaires en question sont monumentales et sans précédent. Iristel a précisé que l’ampleur des augmentations dépend de la question à savoir si le tarif est facturé sur une base mensuelle ou si Iristel accepte de s’engager pour une durée de un an ou de trois ans. Iristel a soutenu que toutes les augmentations sont inacceptables et qu’elle n’a pas l’intention de conclure une entente à long terme.
  2. Iristel a indiqué que les majorations ont fait en sorte qu’elle soupçonne que Bell Canada a peut-être repris le monopole des services de transport sur une partie ou la totalité des routes correspondant aux circuits en question. Iristel a soutenu que, si c’est bel et bien le cas, les conditions d’abstention ne sont plus satisfaites et le Conseil devrait i) réglementer à nouveau les tarifs facturés pour ces services assurés le long de ces routes et ii) enjoindre à Bell Canada de publier des tarifs pour la fourniture de ces services.
  3. Iristel a fait valoir que cette demande est conforme aux InstructionsNote de bas de page 4 étant donné que le recours aux pouvoirs de réglementation du Conseil pour endiguer le comportement anticoncurrentiel de Bell Canada est un écart nécessaire du libre jeu du marché pour servir les objectifs de la politique de télécommunication, et est une réponse efficace et proportionnelle au préjudice qui serait causé par les majorations tarifaires.
  4. Iristel a ajouté que, même s’il y a d’autres fournisseurs de services de transport, les exigences sur le plan technologique, la conception des réseaux et l’approvisionnement de ressources uniques de Bell Canada font en sorte qu’il est très coûteux et chronophage pour les entreprises de services locaux concurrentes (ESLC) de changer de fournisseur de services de transport.
  5. Iristel a indiqué que, contrairement aux autres fournisseurs de services de gros qui utilisent l’infrastructure de transport par fibre optique, Bell Canada oblige les ESLC à assurer une interconnexion au moyen d’une infrastructure de multiplexage par répartition dans le temps (MRT). Iristel a précisé que pour passer à un autre fournisseur de services de transport, elle serait tenue d’installer des multiplexeurs à l’échelle de son réseau, ce qui augmenterait considérablement les coûts et les délais connexes.
  6. Iristel a ajouté que, pour ses petits centres tarifaires, il n’est pas logique sur le plan économique pour elle d’utiliser la fibre optique étant donné le volume de trafic prévu le long des routes associées. Iristel a également soutenu que Bell Canada ne procède pas assez rapidement à la mise à niveau de son infrastructure à une interconnexion sur protocole Internet (IP).
  7. Selon Iristel, une autre contrainte pour changer de fournisseur de services de transport est que Bell Canada limite le nombre de projets d’interconnexion en cours par mois dans les régions d’interconnexion locale (RIL). Il faudrait donc une période de temps prolongée pour qu’Iristel puisse passer à un autre fournisseur de services de transport.
  8. Dans sa réponse, Bell Canada a fait remarquer que, dans la décision de télécom 2012-520, le Conseil a indiqué que pour rétablir la réglementation tarifaire dans un marché faisant l’objet d’une abstention, les éléments de preuve déposés doivent être suffisamment convaincants pour démontrer que les circonstances ayant justifié la décision d’abstention de la réglementation initiale ne s’appliquent plus. Le Conseil a conclu à maintes reprises que le marché des services de transport de gros est concurrentielNote de bas de page 5. En outre, Iristel n’a fourni aucun élément de preuve étayant que le nombre de concurrents qui offrent des services de transport a diminué comparativement au moment où le Conseil s’est abstenu de réglementer ces services. Bell Canada a soutenu que, par conséquent, Iristel ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombe.
  9. En ce qui a trait au mémoire d’Iristel concernant l’interconnexion IP, Bell Canada a déclaré que le Conseil a reconnu dans la politique réglementaire de télécom 2012-24 qu’il serait inefficace d’obliger les ESLT à engager des frais pour du matériel de conversion qui existe déjà.
  10. Bell Canada a fait remarquer que bon nombre d’autres fournisseurs de services IP qui s’interconnectent à Bell Canada ont de l’équipement de conversion en place, et que rien n’empêche Iristel de conclure une entente commerciale pour utiliser l’équipement de conversion ou les installations de transport de ces fournisseurs. Bell Canada a signalé que, peu importe les installations de transport utilisées par Iristel (celles de Bell Canada, celles d’Iristel ou celles d’un concurrent), une conversion au MRT serait nécessaire.
  11. Enfin, Bell Canada a fait valoir qu’en ce qui concerne la limite des projets d’interconnexion RIL, il s’agit d’une ligne directrice plutôt que d’une règle absolue, et qu’elle s’applique selon la province, plutôt qu’à l’échelle nationale. Bell Canada a indiqué que, par conséquent, Iristel a surestimé le temps nécessaire pour changer de fournisseur de services de transport. Bell Canada a déclaré que cette ligne directrice est nécessaire pour lui permettre de gérer efficacement les nombreuses demandes d’interconnexion qu’elle reçoit d’une façon qui est équitable pour toutes les entreprises interconnectées.
  12. En réplique, Iristel a indiqué que le fait que la ligne directrice relative aux RIL s’applique selon la province lui a seulement été communiqué après qu’elle a déposé sa demande. Iristel a également réitéré que 42 mois seraient le premier délai dans lequel elle pourrait migrer vers un autre fournisseur de services de transport. Par ailleurs, Iristel a proposé que le Conseil exige un préavis minimal de 34 mois.

Résultats de l’analyse du Conseil

  1. Les décisions d’abstention du Conseil sont régies par l’article 34 de la Loi, qui décrit les circonstances dans lesquelles le Conseil peut s’abstenir de réglementer (lorsque l’abstention serait compatible avec les objectifs énoncés dans la politique de télécommunication), celles dans lesquelles il doit s’abstenir de réglementer (lorsque le service en question est ou sera assujetti à une concurrence suffisante pour protéger les intérêts des utilisateurs), et celles dans lesquelles il ne peut pas s’abstenir de réglementer (puisque cela aurait vraisemblablement pour effet de compromettre indûment la création ou le maintien d’un marché concurrentiel pour le service en question).
  2. Dans le cas en l’espèce, le Conseil s’est déjà abstenu de réglementer les services en question en se fondant sur les décisions qu’il a rendues en vertu de l’article 34 de la Loi. Par conséquent, pour rétablir la réglementation tarifaire, il doit y avoir des éléments de preuve suffisamment convaincants pour démontrer que les circonstances ayant justifié la décision d’abstention initiale ne s’appliquent plusNote de bas de page 6.
  3. Le Conseil conclut qu’Iristel n’a pas fourni les éléments de preuve démontrant que les conditions justifiant la décision d’abstention initiale ont changé à un point tel que l’abstention ne cadre plus avec les critères énoncés à l’article 34 de la Loi. Iristel a affirmé que Bell Canada a peut-être repris le monopole des services de transport sur une partie ou la totalité des routes correspondant aux circuits en question, mais elle n’a fourni aucun élément de preuve concernant, par exemple, i) la présence ou l’absence de concurrents ou ii) les efforts qu’elle a elle-même déployés pour se procurer d’autres services. Plus particulièrement, Iristel n’a fourni aucun élément de preuve étayant que le nombre de concurrents offrant des services de transport similaires a diminué comparativement au moment où le Conseil s’est abstenu de réglementer ces services.
  4. Selon les principaux éléments de preuve sur lesquels Iristel s’est appuyée, Bell Canada a mis en œuvre des majorations tarifaires qu’Iristel estime importantes, et le fait de changer de fournisseur de services engendrerait, selon l’avis d’Iristel, des coûts et des délais considérables.
  5. Cependant, le Conseil n’estime pas que la preuve liée aux majorations tarifaires pour les services soustraits à la réglementation, dans les circonstances, soit suffisante pour justifier la réintroduction de la surveillance du Conseil relativement à l’établissement des tarifs pour ces services. Il est raisonnable de s’attendre à ce que les tarifs puissent fluctuer dans un marché faisant l’objet d’une abstention.
  6. En ce qui concerne le délai nécessaire à Iristel pour changer de fournisseur de services de transport, Iristel a semblé admettre qu’un délai moins long pourrait être possible. Dans tous les cas, Iristel n’a pas suffisamment expliqué le lien possible entre le délai ou les coûts en cause et i) un changement survenu dans les circonstances comparativement au moment où le Conseil a rendu sa décision initiale d’abstention ou ii) les critères dont le Conseil tient compte, aux termes de la Loi, pour examiner la possibilité de s’abstenir de réglementer.
  7. En ce qui concerne les préoccupations d’Iristel concernant l’infrastructure MRT de Bell Canada, cette question ne justifie pas, à elle seule, que l’on réglemente à nouveau les services soustraits à la réglementation. Le Conseil s’est penché sur la transition des réseaux MRT aux réseaux IP à l’échelle du Canada dans la politique réglementaire de télécom 2012-24 et, dans la mesure où Iristel sollicite un réexamen de cette politique, le Conseil estime que ce réexamen déborde le cadre de la présente instance.
  8. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil rejette la demande d’Iristel d’infirmer la décision d’abstention de la réglementation pour les services en question.

Les hausses tarifaires de Bell Canada entraînent-elles une discrimination injuste envers Iristel?

Positions des parties

  1. Iristel a déclaré qu’il est possible que Bell Canada lui facture des tarifs qui sont nettement plus élevés que ceux qu’elle facture à ses autres clients pour les mêmes services de transport assurés sur une partie ou la totalité des routes en question. Iristel a proposé que le Conseil envoie des demandes de renseignements en vue d’obtenir des renseignements supplémentaires sur les tarifs que Bell Canada facture à ces autres clients.
  2. Iristel a indiqué qu’elle s’attendrait à ce que les tarifs facturés pour les services en question soient influencés par certains facteurs liés à sa position à titre de plus grande ESLC au CanadaNote de bas de page 7. Selon Iristel, les majorations tarifaires de Bell Canada ne reflétaient pas ces facteurs et constituent à première vue une preuve de discrimination. De plus, Iristel a soutenu que Bell Canada devrait être tenue de justifier pourquoi cette discrimination n’est pas injuste.
  3. Iristel a également fait valoir que lorsque les négociations en vue de renouveler le contrat ont eu lieu au printemps 2018, elle a agi en croyant raisonnablement que les parties étaient parvenues à une entente sur les tarifs et les clauses substantielles d’un nouveau contrat. Iristel a déclaré qu’il s’en est suivi une période de plusieurs mois pendant lesquels elle n’a pas reçu aucune nouvelle de Bell Canada. En octobre 2018, Iristel a appris que Bell Canada pourrait augmenter les tarifs puisqu’il y avait un désaccord sur certaines questionsNote de bas de page 8. Cependant, Iristel a fait valoir que, même à cette étape, Bell Canada n’a jamais indiqué qu’Iristel devrait subir des hausses tarifaires de l’envergure énoncée dans sa lettre du 16 novembre 2018.
  4. Bell Canada a indiqué qu’il n’existe aucun fondement juridique qui permettrait au Conseil d’entendre une plainte au sujet de la discrimination injuste en vertu du paragraphe 27(2) de la Loi à l’égard des services LSI, étant donné que le Conseil s’est abstenu d’exercer les pouvoirs que cette disposition lui confère pour ces services. Bell Canada a néanmoins répondu aux allégations de discrimination injuste d’Iristel concernant les services RNC et LSI.
  5. Bell Canada a reconnu que les tarifs qu’elle facture aux clients des services de gros varient considérablement. En ce qui a trait à l’argument d’Iristel selon lequel les tarifs qu’elle doit payer devraient tenir compte de son statut de plus grande ESLC au Canada, Bell Canada a signalé que bien d’autres clients ont un volume global d’affaires avec elle beaucoup plus élevé.
  6. Bell Canada a également soutenu que le processus par lequel elle parvient à des tarifs définitifs négociés avec ses clients des services de gros est important. Elle a décrit ce processus comme suit :
    • Bell Canada établit une liste des tarifs, les « tarifs affichés », ce qui représente son offre de départ. Bell Canada a déclaré que sa stratégie de tarification prend en considération les tarifs de ses concurrents, comme Allstream Business Inc., TELUS Communications Inc. et certaines entreprises de câblodistribution qui offrent des options de services de transport à leurs propres installations.
    • Certains clients des services de gros qui ne souhaitent pas participer à des négociations (p. ex. parce qu’ils n’achètent que quelques services) s’abonnent aux services directement selon les tarifs affichés. Toutefois, la plupart des clients font des contre-offres, ce qui déclenche une période de négociations ardues jusqu’à ce que les parties s’entendent sur un tarif commercial.
    • Bell Canada offre des tarifs moins élevés lorsque le client de services de gros s’abonne à long terme ou qu’il prend des engagements en matière de volume, de revenus ou de croissance à long terme.
  7. Bell Canada a indiqué que dans le cas présent, elle a fourni à Iristel un préavis de 60 jours concernant les nouveaux tarifs affichés des services LSI en novembre 2018, comme il est prévu dans le contrat. Iristel a ensuite proposé d’ouvrir à nouveau les négociations, tout en insistant sur le fait que le point de départ devait être les taux réduits en vigueur depuis 2016. Bell Canada a plutôt proposé de négocier en se basant sur les tarifs affichés actuels. Bell Canada a déclaré qu’aucune entente n’a été conclue et que les ententes de services conclues avec Iristel en vertu du contrat ont commencé à expirer à compter de janvier 2019. Par conséquent, Bell Canada a migré les tarifs vers des nouveaux tarifs affichés mensuels.
  8. En réponse à une demande de renseignements du personnel du Conseil datée du 8 février 2019, Bell Canada a fourni des renseignements sur les tarifs qu’elle facture aux clients des services de gros (à l’exception d’Iristel) pour les services du même type que ceux offerts à Iristel par les mêmes circuits. Bell Canada a aussi déposé des renseignements contextuels, qui ont pour la plupart fait l’objet d’un dépôt à titre confidentiel, pour expliquer pourquoi les majorations tarifaires peuvent sembler être discriminatoires et injustes, mais que de son avis, elles ne le sont pas. Selon Bell Canada, Iristel n’avait plus aucun droit permanent, après l’expiration du contrat,  de continuer à tirer profit des tarifs facturés auparavant, lesquels lui étaient particulièrement favorables en raison des circonstances qui existaient à l’époque.
  9. Dans sa réplique, Iristel a indiqué qu’elle ne pouvait pas se prononcer sur les renseignements que Bell Canada a déposés à titre confidentiel, mais elle a exhorté le Conseil à examiner attentivement les tarifs que Bell Canada impose à des concurrents ayant des caractéristiques semblables à celles d’Iristel et à ne pas être induit en erreur par les justifications non pertinentes des différences.
  10. Iristel a également contesté la description qu’a faite Bell Canada de la structure tarifaire précédente d’Iristel ainsi que l’explication qu’elle a fournie pour justifier les majorations tarifaires.
  11. De plus, Iristel a soutenu que même si le Conseil s’était abstenu d’exercer ses pouvoirs en vertu du paragraphe 27(2) de la Loi en ce qui concerne les services LSI, le Conseil pourrait accorder son redressement demandé. Selon Iristel, le Conseil pourrait ordonner à Bell Canada, en vertu de l’article 24 de la Loi, de fournir les services en question à Iristel selon des tarifs et des modalités qui sont équivalants à ceux offerts aux autres clients des services de gros dans des situations similaires. Iristel a aussi soutenu que les faits de ce cas ont clairement établi que l’abstention des services en question par le Conseil n’était plus justifiée aux termes du paragraphe 27(1) ou 27(2) de la Loi.

Résultats de l’analyse du Conseil

  1. Le Conseil s’est abstenu d’exercer ses pouvoirs aux termes du paragraphe 27(2) en ce qui concerne les services LSI, tout en conservant ses pouvoirs en ce qui concerne les services RNC. Le Conseil a pris en considération les arguments avancés par les deux parties au sujet d’une discrimination injuste liée aux services LSI et RNC et, pour les raisons évoquées ci-dessous, il n’estime pas qu’il y ait une situation de discrimination injuste en ce qui a trait aux deux types de services. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que le Conseil prenne une décision concernant le recours demandé par Iristel.
  2. Selon l’approche générale du Conseil à l’égard des allégations de discrimination injuste ou de préférence indue à l’encontre d’une entreprise, la partie qui avance les allégations doit d’abord établir la discrimination ou la préférence. Une fois que cela est fait, le fardeau repose alors sur l’entreprise intimée pour établir qu’il ne s’agit pas d’une discrimination injuste ou d’une préférence indue, comme l’exige le paragraphe 27(4) de la Loi.
  3. Dans le cas présent, toutefois, une approche plus flexible à la première étape peut être justifiée, car Iristel n’a pas accès à certains des renseignements confidentiels déposés par Bell Canada. Plus précisément, le Conseil aurait été prêt à passer à la deuxième étape, même si les renseignements fournis par Bell Canada (au lieu de ceux fournis par Iristel) établissaient une discrimination.
  4. Conformément à cette approche flexible, pour déterminer s’il y a eu discrimination, le Conseil a comparé les tarifs les plus élevés payés à Bell Canada par d’autres concurrents pour les services en question aux tarifs les plus élevés (c’est-à-dire les tarifs mensuels) offerts à Iristel pour ces services. L’évaluation menée par le Conseil des renseignements confidentiels contenus dans le dossier a permis de confirmer ce que Bell Canada a reconnu dans le dossier public, à savoir que les tarifs qu’elle facture aux clients des services de gros varient énormément de l’un à l’autre.
  5. Dans certains cas précédents, le Conseil a déterminé qu’un grand écart au niveau des tarifs suffisait pour constituer une discrimination et/ou une préférence au sens de la Loi. Par exemple, dans la décision de télécom 2014-398, le Conseil avait notamment déterminé que les tarifs facturés aux nouveaux joueurs dans le marché des services sans fil pour les services d’itinérance sans fil mobiles de gros variaient considérablement.
  6. Dans ce cas, le Conseil a conclu que cela était injuste dans les circonstances puisque, entre autres choses, une entreprise titulaire précise avait imposé des clauses d’exclusivité dans les ententes de services d’itinérance de gros qu’elle avait conclues avec certains nouveaux joueurs.
  7. Le Conseil estime que les circonstances ne sont pas les mêmes dans le cas présent. Iristel est une ESLC bien établie et relativement importante, et non un nouveau joueur; les marchés des services en question sont bien établis; rien n’indique qu’il y a un manque d’autres fournisseurs de services de transport sur le marché et il n’y a aucune preuve d’exclusivité.
  8. Le Conseil estime que, dans la situation actuelle, Bell Canada a fourni des éléments de preuve indiquant que de nombreux facteurs influent sur l’écart observé dans les tarifs des services LSI et RNC, y compris, de façon significative, les négociations entre les parties, qui sont des acteurs commerciaux avertis intervenant dans un environnement faisant l’objet d’une abstention de la réglementation.
  9. Iristel n’a pas contesté l’affirmation de Bell Canada selon laquelle, en règle générale, les tarifs affichés seront établis périodiquement et offerts aux clients des services de gros, après quoi des négociations pourraient avoir lieu. Le Conseil accepte que des tarifs plus bas puissent être offerts lorsque, par exemple, le client de services de gros s’abonne à long terme ou qu’il prend des engagements en matière de volume, de revenus ou de croissance à long terme.
  10. Dans le cas présent, les éléments de preuve indiquent que des négociations concernant les tarifs proposés qui étaient relativement plus faibles ont eu lieu avant que Bell Canada avise Iristel des nouveaux tarifs affichés. Il ressort toutefois clairement des documents déposés qu’il n’y a pas eu d’entente entre les parties concernant les tarifs proposés. Le Conseil estime que, dans ce contexte, il était loisible à Bell Canada d’augmenter les tarifs qu’elle proposait.
  11. Iristel a également fondé ses allégations de discrimination injuste sur ce qu’elle a appelé les majorations « monumentales et sans précédent » des tarifs. Toutefois, Bell Canada a fourni une explication pour justifier les augmentations des tarifs proposés, notamment qu’Iristel bénéficiait auparavant de conditions favorables particulières en vertu du contrat et qu’elle était en train de mettre à jour ses tarifs affichés standards. Le Conseil fait remarquer que d’autres négociations concernant ces tarifs étaient et demeurent possibles dans les circonstances.
  12. Par conséquent, le Conseil conclut que bien que les tarifs offerts par Bell Canada à Iristel pour les services LSI et RNC en question varient par rapport aux tarifs qu’elle impose aux autres clients des services de gros et par rapport aux tarifs antérieurs qu’elle facturait à Iristel, cela ne constitue pas une discrimination dans les circonstances, notamment celles d’un marché faisant l’objet d’une abstention de la réglementation.
  13. Toutefois, même si le Conseil avait déterminé à première vue que l’un des tarifs en question était discriminatoire, il aurait conclu que Bell Canada s’était acquittée de son fardeau de prouver qu’une telle discrimination n’est pas injuste.
  14. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil détermine que la discrimination injuste n’a pas été établie dans le cas présent.

Bell Canada s’accorde-t-elle une préférence indue relative à son préavis de 60 jours concernant les hausses tarifaires?

Positions des parties

  1. Iristel a soutenu que, en ne donnant qu’un préavis de 60 jours l’informant des hausses tarifaires en question, Bell Canada s’est accordé une préférence indue, contrairement au paragraphe 27(2) de la Loi, en lui enlevant dans les faits toute capacité d’atténuer ses dommages en changeant de fournisseur de services de transport avant que les hausses tarifaires n’entrent en vigueur.
  2. En particulier, Iristel a fait valoir que Bell Canada a tenté de tirer parti de sa capacité contractuelle de fournir à Iristel un préavis de 60 jours l’informant de hausses tarifaires afin de forcer Iristel à accepter ses modalités, reconnaissant qu’il faudra au moins 42 mois à Iristel pour trouver d’autres fournisseurs de services de transport. Iristel a déclaré qu’elle n’aurait jamais accepté que Bell Canada soit en mesure d’augmenter unilatéralement ses tarifs avec un préavis de 60 jours si elle s’était attendue aux hausses précises en question. Iristel a déclaré qu’en vertu de l’offre initiale d’avril 2018, la majorité des circuits LSI figurant à l’annexe A de la pièce jointe 1 de sa demande étaient offerts à un tarif réduit.
  3. Iristel a demandé au Conseil d’émettre une ordonnance enjoignant à Bell Canada à donner à Iristel un préavis raisonnable de toute augmentation des tarifs de plus de 20 % et que ce préavis raisonnable accorde à Iristel suffisamment de temps pour changer de fournisseur de services de transport avant la date d’entrée en vigueur de la majoration tarifaire.
  4. Bell Canada a indiqué que la demande d’Iristel n’est pas conforme aux pratiques de l’industrie. Bell Canada a déclaré que son entente-cadre type pour les services de gros régit i) sa relation avec la plupart de ses clients des services de gros et ii) la plupart de ses services visés par l’abstention (pas seulement les services de transport d’interconnexion comme les services LSI). Cette entente standard comporte un préavis de 60 jours avant que Bell Canada ou le client de services de gros ne puisse informer l’autre partie que le contrat ne sera pas renouvelé selon les mêmes modalités.
  5. Bell Canada a ajouté qu’elle n’exige pas qu’Iristel s’abonne à tous ses services de transport dans le cadre d’une entente globale ayant une durée unique. Différents contrats pourraient être négociés de sorte à comporter des dates de début et de fin différentes, ce qui pourrait aider à réduire au minimum le risque pour Iristel de se trouver face à des changements simultanés de prix.
  6. Dans sa réplique, Iristel a contesté que le préavis de 60 jours est la norme de l’industrie. La compagnie a soutenu qu’elle n’aurait pas pu raisonnablement prévoir que Bell Canada aurait eu un recours abusif à la clause du préavis de 60 jours pour imposer des hausses tarifaires de cette ampleur. C’est particulièrement le cas étant donné la direction qu’ont prise les négociations qui ont précédé les hausses tarifaires.
  7. Iristel a déclaré que cela vient renforcer le fait que Bell n’a fourni aucun exemple dans lequel elle a obligé une ESLC à accepter des hausses tarifaires de cette ampleur ou à passer à un autre fournisseur de services de transport sur un préavis de 60 jours seulement, en dépit de la possibilité de fournir de tels éléments de preuve.

Résultats de l’analyse du Conseil

  1. Étant donné que le Conseil s’abstient de réglementer de nombreux aspects des services en question, les parties sont responsables des négociations des modalités des contrats commerciaux, y compris toutes les périodes de préavis des modifications tarifaires.
  2. Le dossier de la présente instance indique que Bell Canada et Iristel ont conclu un contrat, lequel permettait à l’une ou l’autre partie de donner un préavis de 60 jours pour aviser l’autre partie que le contrat ne serait pas renouvelé en vertu des mêmes modalités. Le 16 novembre 2018, Bell Canada a donné à Iristel un préavis de 60 jours portant sur les hausses tarifaires des circuits en question.
  3. Comme il est indiqué ci-dessus, cette entente a été signée par deux entités commerciales averties dans un environnement réglementaire qui fait en grande partie l’objet d’une abstention de la réglementation.
  4. Iristel a déposé à titre confidentiel des éléments de correspondance entre les représentants des deux compagnies, faisant état de négociations entre les parties liées aux tarifs et aux modalités d’un nouveau contrat ayant eu lieu plusieurs mois avant que le préavis de 60 jours de Bell Canada soit donné. Iristel n’a pas répondu concrètement à l’affirmation de Bell Canada selon laquelle les négociations auraient pu se poursuivre au-delà de ce stade mais que cela ne s’est pas produit.
  5. Tant et aussi longtemps que le Conseil n’a pas pris la décision de réglementer à nouveau les services soustraits à la réglementation, en se basant sur des éléments de preuve probants, le Conseil estime que son intervention concernant ces services pourrait avoir une incidence négative sur les négociations commerciales, par exemple en perturbant la concurrence qui a eu lieu depuis que les services font l’objet d’une abstention réglementaireNote de bas de page 9.
  6. Le Conseil conclut que les éléments de preuve au dossier de la présente instance ne permettent pas d’établir que le préavis de 60 jours que Bell Canada a donné, conformément au contrat entre Bell Canada et Iristel, constitue une préférence. Par conséquent, le Conseil détermine que la préférence indue n’a pas été établie dans ce cas.

Conclusion

  1. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil rejette la demande de redressement définitif d’Iristel.
  2. Le Conseil rappelle aux fournisseurs de services de gros et aux clients de services de gros que dans un marché concurrentiel, on s’attend à ce qu’ils négocient et se conduisent autrement d’une manière conforme aux conditions concurrentielles qui prévalent sur le marché.

Secrétaire général

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