Politique du CRTC sur la protection des genres : Document de travail 2013

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Présenté par : Peter H. Miller, P. Eng., LL.B

Le 15 mars 2013

Table des matières

Avant-propos

Le présent rapport a été commandé par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (ci-après, le CRTC ou le Conseil) comme document de réflexion sur l’enjeu de la protection des genres et de la possibilité d’assouplir ou d’éliminer cette pratique à l’avenir. L’objectif établi à l’époque consistait à dresser un portrait objectif des questions, des options et des conséquences possibles, compte tenu que le CRTC planifie de revoir la politique sur la protection des genres en 2013-2014.

Le présent rapport reflète l’opinion de l’auteur selon la recherche qu’il a effectuée. Il ne constitue pas le point de vue du Conseil.

Introduction

D’où vient la protection des genres? En quoi consiste-t-elle? Est-elle pertinente? Que se passerait-il si on la laissait tomber? Comment pourrait-on la faire évoluer ou l’éliminer?

Le débat est d’actualité, mais il n’est pas nouveau : le CRTC a indiqué qu’il entendait entreprendre une revue officielle de sa politique en 2013-2014.

Le présent document a été rédigé dans le but d’éclairer la discussion, d’exprimer des points de vue et des opinions sans tirer de conclusions finales.

Cependant, en matière de protection des genres, certains faits sont notables :

L’objectif de la protection des genres est immédiatement miné par la réalité – la définition d’un genre est en soi subjective, aucune définition n’est statique, ni étanche par rapport à l’évolution de l’intérêt des téléspectateurs, des services concurrents et du monde des affaires. Nous pouvons savoir lorsque deux services sont clairement de deux genres différents ou identiques (comme on a choisi de les définir). Mais nous ne trouvons pas toujours la mince ligne qui se situe entre les deux. Cette ligne, elle est parfois une vaste zone grise.Malheureusement, la réglementation ne fait pas bon ménage avec la subjectivité, et elle n’aime pas les vastes zones grises. Bien que la politique favorise la diversité, elle le fait de manière inélégante, incohérente, voire inutile

Néanmoins, la protection des genres risque de demeurer un rare exemple de réglementation intrusif et restrictif dont souhaite se débarrasser l’organisme réglementaire alors que l’industrie est majoritairement favorable à son maintien. C’est parce que les titulaires – ceux qui verrouillent les genres de base et les petits créneaux – apprécient la protection (limitée) contre les incursions concurrentielles que leur offre la politique.

Voici quelques-uns des éléments du débat qui devra suivre.

Historique et objectif de l’exclusivité des genres

Apparition de la politique

Si on demande à n’importe quel commentateur des politiques en matière de radiodiffusion de parler de la protection des genres, il haussera les épaules et avouera qu’il s’agit d’une politique anachronique (même si elle a son utilité) qui vient des bas-fonds de la politique canadienne sur la radiodiffusion. Plusieurs personnes sont toutefois surprises lorsqu’elles apprennent que cette politique n’a pas toujours été en place et qu’elle ne constitue pas un élément majeur du cadre d’attribution des licences pour les services facultatifs canadiens ou pour les politiques relatives à la préférence envers les services appartenant à des Canadiens plutôt qu’à des intérêts étrangers.

La protection ou « l’exclusivité » (expression actuelle, politiquement correcte et sans doute plus exacte) des genres n’est officiellement devenue une expression ou une politique qu’au moment de la mise sur pied du cadre sur les services spécialisés numériques en 2000. Dans cette politique, le CRTC a établi « la protection des genres » pour les services spécialisés de catégorie 1 de la façon suivante :

Le Conseil s’attend à autoriser environ dix nouveaux services spécialisés comme services de la catégorie 1. Ces services auront des privilèges d’accès numérique et profiteront d’une protection de genre afin de les aider à lancer des services dynamiques pendant la période incertaine du déploiement numérique [le soulignement est le mien].

Lors des rondes d’attribution de licences de services spécialisés qui ont précédé, la notion de protection des genres est apparue lentement, mais sûrement, même si sa naissance officielle ne s’est produite que lorsque le Conseil a dû élaborer une politique pour un « univers numérique de 500 canaux » en comblant l’écart entre le protectionnisme du passé (services de catégorie 1) et la politique de la porte ouverte (services de catégorie 2).

Lors de la ronde de 1996 sur les services spécialisés, le CRTC a approuvé 23 demandes de services « hybrides » analogiques-numériquesNote de bas de page 3 et en a refusé 17. Dans cet avis public, le Conseil a indiqué ce qui suit :

On a avisé les requérantes proposant des services dont le format concurrencerait directement des services spécialisés existants de langue anglaise qu’elles devaient être prêtes à faire état de l’incidence que le nouveau service proposé pourrait produire sur la capacité des services existants de remplir les obligations de leurs licences.

Le Conseil, par vote majoritaire, est d’avis que les requérantes de nouveaux services spécialisés de langue anglaise devraient, de façon générale, être disposées à accepter l’attribution d’une licence à des conditions régissant leur accès aux entreprises de distribution semblables à celles qui ont été appliquées au deuxième groupe d’entreprises de programmation de langue anglaise autorisées aujourd’hui; et ces demandes ne devraient pas, en général, concurrencer directement des services spécialisés déjà autorisésNote de bas de page 4.

L’utilisation de l’expression « de façon générale » a servi de tremplin, permettant l’attribution de licences à de nouveaux services d’information, de sports, etc., qui se distinguent (certains ajouteraient « en théorie ») en se spécialisant dans les manchettes, les nouvelles régionales ou locales, ou autrementNote de bas de page 5.

La ronde d’attribution de licences de services spécialisés de 1994, qui a vu l’ajout de deux services de télévision payante de langue anglaise, de six services spécialisés de langue anglaise et de deux services spécialisés de langue française, a permis de mettre l’accent, en matière de politiques, sur la diversité plutôt que sur la concurrence.

Afin d’encourager la diversité et d’assurer que les titulaires de services spécialisés respectent les engagements qu’elles ont pris d’offrir des émissions ayant un genre particulier, le Conseil a fait de la nature du service une condition de licence.

Le Conseil a assorti les licences attribuées aujourd’hui de conditions qui limitent le contenu de la programmation aux catégories pertinentes d’émissions énoncées à l’annexe I du Règlement de 1990 sur les services spécialisés. À l’audience, il a établi avec chaque requérante les catégories particulières qui seraient jugées comme se rapportant aux genres d’émissions qu’elle a proposés. Dans certains cas, il a également assorti les licences de conditions liées au genre de dramatiques ou d’autres émissions.

[…] on ne retrouve pas généralement les genres et formules des nouveaux services, la fragmentation de l’auditoire devrait être minimeNote de bas de page 6.

La ronde 1994 était elle-même différente des rondes précédentes puisque :

Lorsque le Conseil a lancé des appels de demandes dans le passé, il a précisé les formules de service qu’il encouragerait ou qu’il découragerait expressément comme moyen d’atteindre le maximum de diversité et de complémentarité par rapport aux services en place. Le présent appel ne contient aucune restriction du genre concernant la formuleNote de bas de page 7.

Ces rondes précédentes (qui sont maintenant, en règle générale, regroupées en une seule) incluaient les premières licences attribuées à des services de télévision payante en 1982, et à des services spécialisés en 1984, 1985 et 1987. Lorsqu’il a fait l’appel de demandes de licences en vue d’offrir des services dans des formules qu’il n’avait pas encore autorisées, le Conseil a en effet défini les genres pour lesquels des licences pouvaient être attribuées, conformément à sa définition d’un service spécialisé canadien :

[…] un service spécialisé canadien s’entend d’une programmation de télévision d’intérêt particulier destinée à satisfaire les intérêts et les besoins propres à divers groupes d’âges ou groupes linguistiques, culturels, géographiques ou autres au Canada. Les services spécialisés envisagés pourraient se composer d’émissions communément appelées « thématiques ou verticales »Note de bas de page 8.

Malgré la lignée historique, les différences entre cette politique réglementaire et celle qui a pris forme en 2000 (et qui est toujours appliquée de nos jours) sont notables. Les origines de la politique concernaient la diversité et le caractère distinct des services et, à un degré moindre, les répercussions sur la télé conventionnelle. La politique de 2000 était axée sur l’attrait, la diversité et la protection des services analogiques en place et des services numériques de catégorie 1, dont la contribution est supérieure, par rapport aux services de catégorie 2, dont la contribution est moindre.

En d’autres mots, la protection des genres constitue un résultat plutôt qu’une opinion sur l’attribution de licences initiales pour des services spécialisés et payants.

Mise en œuvre de 2000 à ce jour

Depuis sa reconnaissance officielle en 2000 jusqu’à sa confirmation récente lors des renouvellements de licence par groupe de 2011, la politique sur la protection des genres a connu une évolution importante.

L’année 2006 a vu apparaître la première exception « raisonnée »Note de bas de page 9 à la politique du « un par genre » établie pour le secteur des services de télévision payante de langue anglaise. Cette exception a mené à l’attribution d’une licence à Super Channel, concurrent des services d’Astral TMN/TMN Encore dans l’Est et des services de Corus Movie Central et Encore Avenue dans l’OuestFootnote 10.

En 2007, le Conseil a envisagé publiquement l’arrêt de la protection des genres en annonçant un examen des cadres réglementaires pour les EDR et les services facultatifs de programmation :

Étant donné la maturité et la santé de l’industrie des services payants et spécialisés qui compte aujourd’hui une gamme de noms populaires et reconnus, le Conseil croit qu’il est peut-être temps d’éliminer cette politique du « un par genre » et d’offrir à ces services la souplesse qui leur permettrait d’adapter leurs stratégies de programmation aux défis que leur pose l’évolution rapide de l’industrie de la radiodiffusionNote de bas de page 11.

Le Conseil a cité quelques motifs qui pourraient justifier l’élimination de la politique ou, du moins, l’adoption d’une solution de rechange, notamment :

Ironiquement, cette fois, ce sont les radiodiffuseurs qui ont demandé le maintien de la réglementation, certains demandant que l’approche soit révisée, mais la plupart exigeant le maintien du statu quo.

En conséquence, en 2008, la politique actuelle et les objectifs qui en découlent ont été confirmés et reformulésNote de bas de page 12.

Le Conseil a noté l’importance de la nature des définitions de service comme outil réglementaire utilisé pour assurer que les services demeurent dans le genre pour lequel ils ont été autorisés.

La nature de service de chaque service spécialisé est fixée par des conditions de licence qui contiennent ce qui suit :

Lorsqu’il a décidé de maintenir l’exclusivité des genres, le Conseil s’est dit d’avis qu’un « abandon complet de l’exclusivité des genres puisse aller à l’encontre de la diversité des services canadiens offerts aux téléspectateurs. Selon le Conseil, cette diversité présente deux grands avantages pour les Canadiens :

  1. elle donne aux téléspectateurs un vaste choix d’émissions canadiennes;
  2. elle contribue au maximum à créer des émissions canadiennes »Note de bas de page 14.

Ce raisonnement a été amélioré en 2011 :

Les conditions de licence associées aux natures de service […] étayent l’exclusivité des genres, ce qui a) assure la diversité des genres de programmation, b) protège les revenus en limitant la concurrence et en permettant ainsi aux services de catégorie A de respecter des obligations plus rigoureuses de programmation canadiennes, c) permet aux téléspectateurs de « savoir ce qu’ils obtiennent » dans la mesure où ceux-ci acceptent de payer un service et s’attendent à ce que la programmation diffusée demeure fidèle à la nature du serviceNote de bas de page 15.

En 2008, le Conseil a néanmoins décidé de permettre à tous les services de catégorie A de tirer leur programmation de toutes les catégories d’émissions en fixant une limite normalisée de 10 % du mois de radiodiffusion pour les catégories telles que les sports, les émissions dramatiques, les films et la musique populaire, qui sont des genres populaires visés par d’autres services de catégorie ANote de bas de page 16.

Le CRTC a également posé les assises en matière d’attribution de licences pour les services de nouvelles et de sports de catégorie C en ouvrant la porte à la concurrence dans un genre lorsqu’il sera convaincu qu’un environnement concurrentiel ne risquera pas de réduire de façon significative ni la diversité des services qui sont proposés aux abonnés, ni leur contribution à la création d’émissions canadiennes ».

Résultat net

En fait, l’exclusivité des genres est devenue un fourre-tout qui permet de justifier après le fait des objectifs stratégiques qui semblent raisonnables, mais auxquels il manque une relation claire de cause à effet. Elle est remplie de contradictions et d’applications incohérentes. Et aujourd’hui, elle constitue autant une « obligation » qu’une « protection » (ce qui pourrait expliquer le changement de nom).

Malgré le renversement de 2008, le Conseil a une fois de plus émis des réserves en ce qui a trait au maintien de la politique après les renouvellements par groupe.

Cet exercice a eu pour effet de rassembler d’autres preuves de la difficulté croissante de la réglementation des genres et de ses pièges éventuels, dont la conséquence involontaire d’empêcher l’arrivée de nouveaux joueurs dans le marché, surtout lorsqu’un service existante a effectivement abandonné son genre original ou l’a élargie de façon importante.

Quoi qu’il en soit, le Conseil réitère, pour les raisons citées dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100, que l’exclusivité des genres doit être maintenue, du moins à court terme. Il demeure néanmoins préoccupé par l’application de plus en plus compliquée de la politique d’exclusivité des genres, comme en témoignent les débats à l’audienceNote de bas de page 19.

La politique « en théorie » et « en pratique »

Simple en théorie, complexe en pratique

La création et l’application de genres distincts entre services spécialisés étaient relativement faciles pour les radiodiffuseurs et l’organisme de réglementation lorsqu’il n’existait qu’une dizaine de services spécialisés et de télévision payante. Au dernier calcul, on comptait 67 services autorisés de catégorie A, 275 de catégorie B et 13 de catégorie C. Parmi ces services, 136 services de catégorie B et 10 de catégorie C sont en exploitationNote de bas de page 20. Cette évolution ainsi que ses répercussions sur le plan technologique ont amené un grand nombre de changements.

Prédire l’avenir

L’ambiguïté et l’incertitude associées à la protection des genres donnent l’impression, du moins pour plusieurs, que l’interprétation peut varier d’une personne à une autre.

Cela est probablement encore plus vrai puisque les services et le Conseil doivent de plus en plus se fier à l’aspect descriptif de la nature de service, qui est plus subjectif, plutôt qu’aux définitions des catégories d’émissions, qui sont plus objectives. Il est généralement plus facile de déterminer ce qui constitue un long métrage, une émission dramatique ou sportive plutôt qu’une émission de nature technique, artistique ou destinée aux femmesNote de bas de page 22. Ainsi, lorsque des litiges se produisent dans ce genre de domaines, les descripteurs de la nature de service doivent soudainement jouer un rôle beaucoup plus important que ce pour quoi ils ont été conçus.

Plus précisément, l’application de l’exclusivité des genres (une fois les services autorisés) est passée d’un système axé sur les plaintes à un système axé sur le Conseil.

À l’heure actuelle, les radiodiffuseurs se plaignent rarement contre un concurrent pour le non-respect de l’exclusivité des genres. Peut-être parce que personne n’a les mains vraiment propres. Peut-être parce qu’ils croient que même si on leur donne raison, il existe trop de façons pour un concurrent de contourner une décision négative. Peut-être parce qu’ils pourraient un jour posséder le service qu’ils auront réussi à contraindre à la suite d’une plainteNote de bas de page 23. Peut-être ont-ils simplement d’autres priorités.

Devant ce manque, et malgré avoir indiqué vouloir revoir la politique, le Conseil est allé dans la mêlée lors des renouvellements par groupes et s’est dit préoccupé du fait qu’une partie de la programmation de MTV, Twist TV, Showcase Diva, Outdoor Life Network (OLN), History et Country Music Television (CMT) « ne respecte pas les conditions de licence relatives à leur nature de service ». Le Conseil a même fait part de ses préoccupations quant à la nouvelle priorité de programmation de Discovery Science, « qui s’éloigne de l’anthropologie pour se rapprocher de la science en général, soulève des questions sur la concurrence éventuelle de ce service de catégorie B sur le service de catégorie A Discovery », même si les deux services appartiennent en majorité à BellNote de bas de page 24. Enfin, le Conseil a établi la non-conformité du service G4 détenu par Rogers, et d’OWN détenu par Corus, à l’égard de leurs natures de service respectives et il a convoqué ces deux services à une audience le 11 décembre 2012Footnote 25.

Ce faisant, le Conseil pourrait donner l’impression qu’il applique une politique désuète à l’encontre de l’intérêt du consommateur plutôt que de superviser raisonnablement le système de radiodiffusion pour assurer la diversitéNote de bas de page 26. Le cas échéant, le Conseil pourrait craindre de miner son autorité comme organisme de réglementation.

Tirer l’élastique

Ironiquement, le caractère vague et ambigu de la politique actuelle sur la protection des genres a incité les radiodiffuseurs à tirer l’élastique. En fait, ils n’ont presque rien à perdre.

  1. Toute interprétation rationnelle des règles actuelles, qui sont plus subjectives, peut se défendre. Peut-être le CRTC sera-t-il en désaccord avec l’interprétation d’un titulaire de licence, mais il lui sera difficile de retirer une licence, à moins que l’interprétation du radiodiffuseur ne soit complètement intenable.
  2. Des émissions douteuses acquises par un groupe de radiodiffusion détenant plusieurs stations peuvent presque toujours être diffusées par une autre station de la famille de l’entreprise, si le Conseil estime enfin qu’elles ne sont pas conformes.
  3. Grâce aux éléments 1 et 2, le « coût » associé à la non-conformité est minimal, mais les profits peuvent être énormes – un service mal en point peut avoir un nouveau souffle, de meilleurs revenus et attirer l’attention des consommateurs. Ironiquement, la conséquence de la non-conformité peut être positive pour le système et pour le radiodiffuseur. Le système gagne un service dont la popularité est accrue (moins de désabonnements aux services des EDR et aux services télévisuels) et des contributions à la production d’émissions canadiennes plus élevées (puisque presque tous les grands services à succès de catégorie B appartiennent à de grandes sociétés tenues de respecter leurs obligations en matière de DÉC).

De nombreux radiodiffuseurs interprètent la protection des genres en examinant le degré de chevauchement de concurrence entre un service de catégorie A ou B donné et des services de catégorie A potentiellement concurrents comme suit :

Le niveau de chevauchement requis pour qu’un service soit perçu comme un concurrent a beaucoup bougé pendant des années.

La politique sur la souplesse de 2008 fixant à 10 % le chevauchement des catégories d’émissions a confirmé la présence d’un plancher clair en ce qui a trait à ce qui peut être considéré comme de la concurrence directe dans les catégories d’émissions principales, mais elle ne répond pas à la question de savoir jusqu’à quel point les titulaires pourraient s’avancer sans cette restriction.

Un détail plus important, cependant : la politique de 2008 du Conseil, qui permet à tous de faire comme bon leur semble 10 % du temps, a permis une concurrence directe substantielle pendant les heures de grande écoute. Un service qui diffuse 24 heures par jour dispose d’environ 17 heures par semaine pour faire presque tout ce qu’il veut. En d’autres termes, plus de 50 % des heures de grande écoute en semaine peuvent être utilisées pour les émissions qui génèrent le plus de revenus, tant que le genre est respecté en théorieNote de bas de page 30. Si elle est utilisée efficacement, cette souplesse de 10 % peut à elle seule renverser la popularité d’un service en difficulté et améliorer ses revenus de publicité et d’abonnement. Cet élément est des plus significatifs.

De l’autre côté du spectre, les diffuseurs savent, intrinsèquement et selon les divers précédents, que dès qu’il y a un chevauchement/concurrence directe d’un tiers à 50 % avec un service dont le genre est protégé, ils sont presque assurément hors-jeu. À moins qu’il ne s’agisse d’un membre de la même famille corporative, personne ne permettrait plus que ce degré de chevauchement/concurrence contre leur service de catégorie A de la part d’un concurrent. Par conséquent, les risques de le faire à quelqu’un d’autre sont faibles.

Entre ces deux contraires, il y a toutefois une immense zone grise. Il existe plusieurs services dont le genre est protégé et qui subissent un chevauchement ou une concurrence directe sur 1/3 à ½ (ou moins) de leur grille-horaire. Toutes les chaînes sur le mode de vie, ainsi qu’un bon nombre de chaînes musicales, artistiques et de séries dramatiques – et c’était évidemment toujours le cas, et pire encore, avec les anciens services de catégorie 1 / analogiques de nouvelles et de sports. Pourquoi est-ce permis dans certains genres, mais pas dans d’autres? S’agit-il d’une interprétation des conditions de licence relatives à la catégorie d’émissions ou à la partie descriptive d’une définition de la nature du service? Ou tout simplement du moment où une licence a été attribuée et de la personne qui a rendu la décision? Qui sait?

Lorsque personne ne le sait vraiment et que les occasions et les affaires s’unissent pour favoriser une interprétation plus large, celle-ci sera adoptée.

Tous les genres ne sont pas égaux

Du point de vue de l’intérêt du consommateur, de la viabilité financière et de l’intérêt public en général, tous les genres sont loin d’être égaux.

Les genres étant définis et destinés « à satisfaire les intérêts et les besoins propres à divers groupes d’âge ou groupes linguistiques, culturels, géographiques ou autres au Canada »Note de bas de page 31, il n’est donc pas surprenant de voir que non seulement ils se chevauchent, mais en plus, ils sont très différents en ce qui a trait au marché potentiel et à la capacité de faire face à la concurrence directe. Une chaîne artistique, une chaîne sportive, une chaîne pour les personnes âgées, une autre pour la communauté LGBT, une chaîne qui diffuse de vieilles émissions, une qui diffuse des émissions éducatives, une autre qui diffuse des émissions dramatiques, une chaîne qui s’attarde au mode de vie et ainsi de suite. Certains services sont très rentables et offrent des genres où la concurrence est déjà présente. D’autres ont du mal à survivre de nos jours. Et il ne fait aucun doute qu’un directeur de la programmation créatif pourrait élaborer une grille horaire qui touche à chacun de ces genres (si on ne tient pas compte de la viabilité).

Du point de vue du consommateur, l’idée selon laquelle les genres ne sont pas égaux va également de soi. Dans un créneau étroit et bien défini comme la météo, les Canadiens sont heureux de n’avoir qu’une chaîne. Et si la protection des genres (dans le cas présent, la distribution obligatoire en vertu de l’article 9(1)h) de la Loi) permet d’assurer un service vigoureux, d’offrir des compléments en ligne utiles et de contribuer à l’intérêt public en général au moyen des alertes d’urgence, leur opinion risque de ne pas changer.

Cependant, dans des créneaux mal définis et plus larges – du moins ceux qui sont populaires, dont les manifestations et interprétations différentes peuvent mener à une plus grande concurrence et offrir plus de choix – les consommateurs ne sont pas complaisants et demandent plus… ce qui explique pourquoi le fait d’avoir plus d’une chaîne axée sur le mode de vie, la musique et le cinéma est logique.

Créneaux et micro-créneaux

Le fait que les services de catégorie 2/B ont été autorisés en étant tenus de ne pas concurrencer les services analogiques ou de catégorie 1/A a mené à la création de services de micro-créneaux qui n’occupent qu’une petite partie du territoire des titulaires.

Le fait de limiter les incidences de la concurrence sur les titulaires est logique du point de vue du maintien d’un niveau élevé de contributions aux émissions canadiennes, mais ceci a, en grande partie, limité l’attrait de la catégorie 2/B en les rendant très vulnérables ou non viables dans le monde d’aujourd’hui, composé de désabonnements et de migrations vers le numérique.

Les services qui ont été autorisés sans garantie de distribution, dans les pires regroupements et là où la pénétration est à son taux le plus bas sont ceux qui ont obtenu les micro-genres les moins souples ou attrayants.

L’application de la protection des genres a également empêché l’apparition de nouveaux venus, même s’ils ont prouvé leur intention de prendre une voie différente dans un genre préétabli. La demande pour le service de musique AuxTV a tout d’abord été refusée en 2010 puisque le service entrerait en concurrence directe avec Much MusicNote de bas de page 32. La demande de Rogers visant à lancer un service de nouvelles sur le monde du divertissement (« Entertainment Desk ») a récemment été rejetée puisqu’elle entrait en concurrence avec la chaîne E!, détenue par BCE – une chaîne consacrée à « tous les aspects de l’industrie du divertissement » - même si ce qui était proposé par Rogers était très différent de ce qui est offert par E!

La protection des genres a fait diminuer la taille des pointes de la tarte télévisuelle, même si les téléspectateurs préfèrent généralement des pointes plus grosses de nombreuses tartes.

Conséquences inattendues

Il est plutôt ironique de voir que l’établissement de la protection des genres en 2000 a coïncidé avec le moment où les conséquences inattendues les plus problématiques de la politique sont apparues.

L’approbation de 16 services numériques de télévision spécialisée de catégorie 1 de langue anglaise et de 5 services de langue françaiseNote de bas de page 33 et de 262 services de catégorie 2Footnote 34 en 2000 a mené à un système de plus de 50Footnote 35 entreprises exploitant 213 services de télévision payante ou spécialisée aujourd’huiFootnote 36. Presque tout de suite après la hausse du nombre de chaînes, le nombre d’exploitants a diminué, une tendance qui s’est accélérée au fil de la décennie. Québecor a acheté TVA. CHUM a acheté Craig, qui a ensuite été acheté par CTV, qui a été acheté par Bell. CanWest Global a acheté Alliance Atlantis et a ensuite été acheté par Shaw. Astral est la prochaine sur la liste. D’ici la fin de l’année 2013, les vieux services spécialisés et payants qui ont connu l’époque de l’analogique appartiendront presque tous à l’une des quatre grandes entreprises (Bell, Québecor, Shaw ou Rogers)Footnote 37.

De nouveaux services indépendants sont apparus – Stornoway, Channel Zero et, plus récemment, Zoomer Media et Blue Ant – mais leurs entreprises populaires de catégorie A sont peu nombreuses. De plus, il est maintenant tellement difficile de lancer avec succès un nouveau service de catégorie B de langue anglaise ou française que peu d’entreprises s’y risquent.

La protection des genres est devenue une « protection des titulaires ». Les gros joueurs qui possèdent les gros services de catégorie A (ou C) sont assis sur des terres impossibles à conquérir. Bell est protégé contre des incursions de Stornoway et Blue Ant; Astral (bientôt, on présume, Astral-Bell) est protégé contre des incursions de TVA. Même la force collective de toutes les entreprises de catégorie B mises ensemble impressionne peu : leur part de marché combinée dépasse rarement les 2 %Note de bas de page 38.

Au Canada anglais, les sports appartiennent à Bell et Rogers. Le reste appartient en grande partie à Bell et à Shaw. Les nouveaux joueurs ne peuvent entrer dans les genres populairesNote de bas de page 39.

Du côté du marché de langue française, Astral s’est approprié la télévision payante en plus de la grande majorité des services spécialisés qui ne présentent pas de sports ou de nouvelles. Bell domine les sports avec RDS. TVA possède les nouvelles et a fait d’autres incursions, mais a été bloqué par la force des titulaires du marché d’un côté et de l’autre par le CRTC, qui s’inquiète de la possibilité de voir le titulaire dominer le marché.

Plus grave encore pour le système, la protection des genres contraint les réactions concurrentielles devant de nouvelles tendances ou des changements de goûts en matière de programmation. Un G4 ne peut pas utiliser une approche différente par rapport à la technologie qui risque de contrevenir à sa nature du service, même si aucun service de catégorie A n’occupe ce créneau. Une chaîne YouTube populaire ne peut pas être copiée rapidement.

Pressions visant à assouplir ou éliminer la politique

Alors que les radiodiffuseurs ont pressé le Conseil de réviser la politique en utilisant des catégories élargies de genres, ou groupes, lors de l’examen réglementaire de 2008, la première demande explicite d’éliminer entièrement l’exclusivité des genres n’a été présentée qu’en 2011Note de bas de page 40.

Lors du renouvellement de licences par groupes, Rogers a demandé une réévaluation visant à éliminer la politique aussi tôt que possible et démontré que la politique avait, au mieux, occasionné l’apparition de seulement 7 services (sur 21) de langue anglaise de catégorie A de genre bien défini. La majorité des services se distinguait mal de la télé conventionnelle, utilisait une image de marque portant à confusion et attirait la majeure partie de son auditoire à l’aide d’émissions dramatiques conventionnelles (même si elles ne faisaient pas partie de leur genre déclaré) ou utilisait une image de marque sans émissions dramatiques qui ne reflétait pas leur genre déclaréNote de bas de page 41.

Contexte de l’industrie

Le passage d’une consommation linéaire des émissions de télévision à une consommation sur demande est en cours. Tout d’abord accélérée par le remplacement du magnétoscope (qui, en passant, n’a jamais vraiment été un appareil utilisé pour l’écoute en différé) par l’ENP, elle est aujourd’hui à la troisième étape, soit le remplacement des ENP par la vidéo en ligne et les services de VSD exploités par les EDR.

Les données indiquent une nette tendance à la hausse pour la télé en tout tempsNote de bas de page 42. Par exemple, 40 % des ménages canadiens possèdent un ENP (par rapport à 15 % en mars 2009), et dans ces foyers, 11 % de l’écoute se fait en différé (par rapport à 5 % pour l’ensemble de la population)Footnote 43. Les abonnés à la télévision numérique représentent maintenant 80 % des ménages; ainsi, la majorité des ménages a accès aux services de VSD offerts par les EDRFootnote 44. Pendant ce temps, les services par contournement font augmenter la consommation d’émissions de télévision en ligne, qui représente maintenant un tiers de la vidéo en ligne visionnée, et le visionnement total de vidéos en ligne et d’émissions de télévision est passé à 32 heures par semaine (contre 28 heures pour la télévision seulement)Footnote 45.

Si on met de côté l’appétit des Canadiens pour la vidéo en ligne, dont ils sont parmi les plus importants consommateurs au monde, ce qui inclut un degré de pénétration supérieur à 15 % pour NetflixNote de bas de page 46, la preuve actuelle des répercussions matérielles de la vidéo en ligne et des services par contournement sur le système de radiodiffusion canadien est mince. Les diffuseurs canadiens sont généralement capables d’acheter les droits d’écoute en différé de leurs émissions sans augmentation fâcheuse du budget destiné aux émissions étrangères – même s’il est arrivé que des services par contournement offrent une mise supérieure à celle des joueurs canadiens, et gagnentFootnote 47. Certaines données indiquent qu’il y aurait des désabonnements aux services de télévision payante, mais qu’il s’agit d’un faible pourcentage, sous les dix pour cent, et rien ne prouve hors de tout doute que ces désabonnements sont dus aux services par contournementFootnote 48. Dans le même ordre d’idées, de nombreux services de télévision de catégorie B spécialisés signalent une diminution du nombre d’abonnés, mais là encore, cette baisse peut avoir été provoquée par d’autres facteurs tels que les modifications de forfaits et une concurrence accrue au sein du système, notamment des services additionnels et de l’écoute en différé au moyen de la vidéo sur demande.

En octobre 2012, le CRTC s’est exprimé en ces termes :

Le Conseil estime que le dossier ne fait pas état d’une preuve convaincante démontrant que les concurrents étrangers sans licence ont une incidence significative sur la négociation de droits de programmation avec les radiodiffuseurs canadiens. De plus, le Conseil a noté dans son rapport intitulé Naviguer dans les eaux de la convergence II, publié en août 2011, que d’après les données disponibles, les plateformes internet sont encore actuellement un complément au système traditionnel de radiodiffusionNote de bas de page 49.

Dorénavant, l’incidence des services de contournement et, de manière plus générale, des services mobiles/en ligne sur les télédiffuseurs et les EDR canadiens dépendront des 6 facteurs décrits ci-dessous; les 3 premiers sont généralement favorables aux titulaires, contrairement aux 3 derniers.

  1. Hausse des dépenses des Canadiens en matière d’information et de divertissement. Pendant plus de 30 ans, les dépenses en matière d’information et de divertissement ont augmenté beaucoup plus vite que le PIB et l’IPC. C’est ce qui a permis aux entreprises spécialisées, aux EDR et aux FAI d’avoir autant de succès et de faire autant de profits. Nous savons que les propriétaires d’ENP regardent plus la télévisionNote de bas de page 50 et que la consommation de vidéos en ligne semble s’ajouter à cette consommation. Rien ne prouve que la croissance de la consommation de produits de divertissement à l’écran va s’arrêter, même si rien ne garantit que de nouveaux modèles viennent perturber la consommation et les revenus engrangés par les titulaires.
  2. L’étendue de la réponse des radiodiffuseurs canadiens aux besoins des Canadiens en matière de vidéo en ligne et sur demande,y compris les offres relatives à la télé partout. Les EDR et les diffuseurs ont rapidement répondu aux besoins des consommateurs en matière de télévision sur demande, et ils ont fixé des tarifs intelligents – gratuit pour les clients, inclus avec l’offre linéaire. L’acceptation de l’écoute sur demande comme composante de l’écosystème télévisuel s’est également étendue à la publicitéNote de bas de page 51. La télévision partout transformera cet écosystème en club privé et fermé où seuls les abonnés ont les avantages de l’écoute sur demandeFootnote 52. La seule question (traitée ci-dessous) consiste à savoir si les titulaires peuvent continuer à conserver les droits relatifs au contenu auquel les consommateurs veulent accéder.
  3. La domination des titulaires et la prééminence de la chaîne de valeur télévisuelle actuelle. Il est certain que dans un avenir rapproché, la réponse est oui. Aucun des participants à la chaîne de valeur existante – studios, diffuseurs, distributeurs – ne veut voir une facture de câble de 100 $ se transformer en facture de Netflix de 8 $. Même si les studios jouent le jeu de la séduction avec Netflix, l’objectif est une concurrence « saine » pour les droits de programmation, pas de semer le désordre dans le modèle d’affaires actuel. De leur côté, les diffuseurs-EDR canadiens verticalement intégrés se sont placés de manière à dominer les deux catégories cruciales en matière de télévision – sports en direct et contenu haut de gamme (télévision payante et longs métrages). Les services de vidéo en ligne peuvent bien offrir tout ce qu’ils veulent en termes d’émissions de cuisine, de musique, de comédies ou d’émissions sur le mode de vie, on les croit incapables d’offrir ces catégories.
  4. Déplacements en publicité des médias traditionnels vers les médias en ligne et mobiles. La croissance phénoménale de la publicité en ligne au cours des dix dernières années a été bien documentée. D’un peu plus de 100 millions de dollars en 2002, la publicité en ligne a atteint 2,8 milliards de dollars en 2013, en dépassant la radio en 2008 (1,5 milliard), la publicité imprimée en 2010 (2,1 milliards de dollars, était à 2,5 milliards 10 ans plus tôt) et on s’attend à ce qu’elle dépasse la télévision en 2015 (3,5 milliards de dollars)Note de bas de page 53. Même si la tarte des annonceurs grossit plus rapidement que le PIB, alimentée par les services mobiles, elle poursuit sa croissance à peu près au même taux qu’au cours de la dernière décennie et elle ne pourra faire autrement que faire disparaître la publicité à la télé, comme elle l’aura fait pour l’imprimé. Les diffuseurs titulaires souhaitent que les revenus publicitaires passent à leurs services et leur contenu mobile et en ligne, et pas à ceux de leurs concurrents.
  5. Durabilité du contenu « satisfaisant ». Nous vivons un âge d’or de la télévision. Le contenu scénarisé et non scénarisé n’a jamais été aussi bon et nous n’avons jamais eu autant de choix. Il y a bien plus de contenu – de bon contenu – que d’heures dans une journée pour le regarder. Les fournisseurs de services par contournement misent sur cette abondance. Ils ne veulent pas tout le contenu possible, ils ne veulent même pas le meilleur contenu. Ils veulent suffisamment de contenu « satisfaisant ». Pour un nombre grandissant de téléspectateurs, ce contenu peut suffireNote de bas de page 54.
  6. Les coûts de la réglementation et les désavantages concurrentiels qu’ils engendrent pour les télédiffuseurs canadiens et les EDR. Les coûts nets de la réglementation sont difficiles à déterminer. La réglementation occasionne des coûts directs – les exigences à l’égard des dépenses et des contributions en matière d’émissions canadiennes en particulier. Elle impose des exigences qui comportent des coûts directs et de renonciation associés – exigences de diffusion et de distribution. Elle offre également des avantages – celui de réduire l’entrée des concurrents, en particulier des fournisseurs étrangers, et dans le cas de l’exclusivité des genres, de réduire la concurrence directe. Dans un système ouvert et plus concurrentiel, les avantages font piètre figure par rapport aux coûts et la réglementation devient un obstacle majeur.

Que l’on prévoie des résultats positifs ou négatifs pour le système canadien de radiodiffusion au cours des cinq à dix prochaines années en tenant compte de ces facteurs, la tendance est claire et ses incidences évidentes :

  1. Une part de plus en plus grande d’écoute de la télévision se déplacera vers le monde non réglementé d’Internet, au moyen d’un éventail d’appareils mobiles, de tablettes et de téléviseurs à grand écran. Ces appareils ne dépendront pas des activités du radiodiffuseur, qui doit ainsi concurrencer une vaste gamme de services par contournement absents du système fermé de télévision des EDR.
  2. Il incombera au CRTC de justifier ses règlements et de démontrer qu’ils sont nécessaires et proportionnels compte tenu du milieu dans lequel ils s’appliquent. Le CRTC voudra s’assurer que les règlements et les politiques telles que celles sur l’exclusivité des genres sont toujours nécessaires et ne nuisent pas à la capacité des fournisseurs canadiens de concurrencer et contribuer.

Dans ce système ouvert de plus en plus axé sur les services par contournement canadiens et étrangers, l’intérêt des Canadiens dans l’écoute d’émissions plutôt que de chaînes atteindra de nouveaux sommets. Alors que les chaînes elles-mêmes deviennent de moins en moins appropriées comme technologie de distribution et qu’elles prennent de plus en plus d’importance en tant que marque, l’exclusivité des genres ordonnée par le CRTC peut-elle théoriquement lui permettre d’atteindre ses objectifs établis?

On peut trouver au moins un indice partiel en examinant le marché télévisuel de nos voisins du Sud, qui est régi par le marché, sans exclusivité des genres et comporte de nombreuses chaînes.

L’expérience du « marché libre » américain

On retrouve à l’heure actuelle plus de 900 chaînes nationales et régionales sur le câble aux États-UnisNote de bas de page 55. On peut les regrouper en 14 grands genres, comme suit :

Un examen de l’offre américaine révèle trois caractéristiques :

  1. Il y a une grande variété de chaînes dans une grande variété de créneaux.
  2. Même le marché américain ne compte pas beaucoup de chaînes câblées desservant des microcréneaux.
  3. On vit une période de redéfinition en profondeur des marques et d’évolution des services à l’extérieur du cadre des mandats originaux.

Une comparaison avec le Canada permet de constater que certaines caractéristiques étaient attendues alors que d’autres sont plutôt surprenantes.

On ne sera pas surpris d’apprendre que dans les créneaux populaires, le marché américain ressemble beaucoup au marché canadien. Les services analogiques spécialisés ont tiré leur inspiration et leurs émissions, en grande partie, pour ne pas dire la plupart, du marché américain. Et on s’attend à ce que ces grands genres « phares » connaissent autant de succès au Canada qu’aux États-Unis.

Ce qui surprend, c’est que même dans un marché qui a 10 fois notre taille, les catégories américaines ne diffèrent pas beaucoup des nôtres. Même certains des plus grands genres aux États-Unis ne comptent qu’une chaîneNote de bas de page 57. Sans doute, les services largement équivalents au Canada constituent un héritage durable de la catégorie 2 (maintenant B) du cadre d’attribution de licences du Conseil. En se retirant du chemin et en laissant les diffuseurs et les EDR trouver eux-mêmes ce qui serait suffisamment populaire chez les Canadiens pour justifier le lancement d’une chaîne, le Conseil a vraiment laissé un millier de fleurs éclore.

Manque de microcréneaux

Le manque de chaînes câblées de microcréneaux semble également surprendre, même aux États-Unis. Il n’y a pas de chaîne sur la voile ou sur le camionnage, rien sur le motocyclisme, le maquillage ou les rencontres.

Lorsqu’un microcréneau est occupé, il n’y a souvent pas plus de chaînes accessibles qu’au Canada. Nous avons une chaîne pour animaux domestiques, ils ont Dog TV (pour les chiens, pas pour les gens). Nous avons Fashion Television, ils ont une chaîne sur la mode et le design, FAD TV: Fashion and Design Television. Nous avons Outtv, ils ont HeretvNote de bas de page 58.

En fait, la liste des chaînes américaines qui ont connu des difficultés financières et ont dû cesser leurs activités ou se transformer montre des parallèles intéressants avec les créneaux qui ont connu des difficultés au Canada (y compris les services autorisés de catégorie B qui n’ont jamais été lancés) :

Transformation des genres

Les États-Unis partagent également avec le Canada, possiblement à un degré supérieur (probablement en raison du manque de règles sur l’exclusivité des genres) la transformation des genres et la confusion des marques. Par exemple :

Tout récemment, plusieurs chaînes câblées se sont lancées dans les séries dramatiques originales pour maintenir leur auditoire dans un marché de plus en plus saturé (sans compter les services par contournement qui les talonnent), y compris les annonces en 2012 selon lesquelles :

D’autres gestes visant l’expansion des genres sont également évidents : TNT, qui était axée sur les émissions dramatiques, se lance dans la téléréalité; A&E se lance dans les séries familiales. Speed change de nom et élargit ses horizons en devenant Fox Sports 1. Du côté des MSO, Time Warner Cable a récemment cessé la distribution de la chaîne artistique Ovation, faisant valoir que moins de 1 % des abonnés regardaient la chaîne pendant une journée donnée, ce qui ne suffit pas pour justifier les 10 millions de dollars en frais de distribution que la société prétend avoir payée au cours des dernières années. « Ovation n’est même plus une chaîne artistique », ajoute Time Warner Cable, qui allègue que 70 % de sa grille horaire est composée de films d’époque, de reprises de l’émission « Antiques Road Show » et de marketing directNote de bas de page 64.

« Dériver vers le centre »

Toutes ces transformations suggèrent que la soi-disant tendance naturelle des services de « foncer vers le centre » pourrait, à un certain degré, constituer un cliché, tout en ignorant les incidences d’une marque dans l’attrait de différents types de spectateurs intéressés à différents types de contenu :

On peut encore se demander si les inquiétudes par rapport au fait que les services « foncent vers le centre » peuvent ou doivent néanmoins être traitées au moyen d’une politique sur l’exclusivité des genres.

En ce qui concerne le « pouvoir » de prévention (exclusivité des genres), la preuve est mitigée. Dans tous les secteurs où le Canada avait des services analogiques aux services américains, où ces derniers ont « foncé vers le centre », les services canadiens ont fait de même, du moins dans la mesure où ils pouvaient le faire compte tenu de l’exclusivité des genres. Bravo, OWN, G4, MuchMusic, TalkTV, Showcase, History, MTV, etc., ont tous suivi au Canada une voie parallèle à leurs homologues américains. Comme nous l’avons déjà noté, la souplesse affichée aux heures de grande écoute signifie que l’exclusivité des genres peut difficilement prévenir ce mouvement là où ça compte, c’est-à-dire financièrement.

Quant au « devoir », l’évolution du marché américain au cours des 30 dernières années, particulièrement depuis qu’il doit affronter les services par contournement, offre une intéressante matière à réflexion.

Tout d’abord, même s’il est impossible de déterminer les causes et les effets, le fait que le Canada offre une diversité de services spécialisés canadiens comparable aux services américains peut en grande partie être attribué à un ensemble de politiques, notamment :

Même si les services canadiens ont déjà eu leur part d’ « appât et substitution », il est difficile de nommer des services qui ont subi une transformation plus substantielle que CMT et TNN/Spike, qui ont été autorisés au Canada selon leurs genres initiaux, et qui sont toujours autorisésNote de bas de page 65.

Deuxièmement, le fait que les États-Unis n’offrent pas beaucoup plus de « microcréneaux » que le Canada laisse à supposer que sans garantie d’accès, ces microcréneaux auraient du mal à survivre au Canada.

Au cours des cinq dernières années, un certain nombre de chaînes américaines ont cessé leurs activités en faveur de solution exclusivement en ligne – ce qui laisse croire que l’avenir des microcréneaux ne se trouve pas sur les réseaux de distribution de radiodiffusion nationaux, mais en ligne, avec une accessibilité partout dans le monde.

Troisièmement, nous sommes en droit de s’attendre qu’Internet aille concurrencer les genres relativement populaires – cuisine, mode de vie, mode, danse, etc. Par exemple, le programme de contenu original de YouTube a financé 100 chaînes originales variant du microcréneau (Drive, Red Bull) au créneau (CafeMom (mode de vie), Look TV (mode), Reuters).

Ainsi, si la transformation des genres en réaction à la demande se faisait naturellement au cours des 30 dernières années, elle deviendra absolument nécessaire à l’avenir.

Distinctions entre les marchés de langue anglaise et les marchés de langue française

En étudiant le marché de langue française, le Conseil a longtemps estimé que, bien que plusieurs radiodiffuseurs de langues française et anglaise partagent certains points communs, leurs conditions d’exploitation et leurs besoins diffèrent les uns des autres.

En ce qui concerne le marché de la télévision payante et de la télévision spécialisée en général, le Conseil a toujours reconnu que le marché de langue française ne pouvait absorber qu’un nombre restreint de services et qu’une forte pénétration devait être encouragée. De cette façon, le Conseil souhaitait assurer aux Canadiens-français une diversité de services semblable à celle offerte pour le Canada anglaisNote de bas de page 66.

En matière d’exclusivité des genres, le Conseil n’a jamais énoncé une autre politique, mais on peut dire qu’il l’appliquait de manière différente ou, du moins, que son application de la politique avait donné des résultats différents.

Cela a créé un marché dans lequel, à l’exception des nouvelles et du sportNote de bas de page 67, Astral a toujours eu une emprise virtuelle sur les meilleurs genres.

À ce jour, il existe 15 services de catégorie A spécialisés de langue française (plus deux services anglais-français : Météomédia et Télétoon) qui couvrent à peu près les mêmes genres que leurs 45 équivalents de langue anglaise.

On peut donc considérer que l’application de la protection des genres pour le Canada français a permis de couvrir le même éventail de genres généraux, mais avec :

Un exemple récent de l’application distincte (ou, au moins, du résultat) de la politique est lorsqu’en 2012, le Groupe TVA « a demandé l’ouverture du genre des services de télévision payante d’intérêt général de langue française à la concurrence afin de lui permettre d’exploiter un nouveau service devant s’appeler Ciné-TVA. Ce service aurait proposé au moins 50 % d’émissions dramatiques et se serait spécialisé dans la diffusion de longs métrages cinématographiques. »Note de bas de page 68

Selon le Conseil, le service de télévision payante titulaire Super Écran d’Astral est « rentable et populaire » et a « la capacité financière de faire face à une certaine concurrence tout en continuant de remplir ses obligations en matière de programmation », mais il ajoute que le marché du long métrage de langue française n’est pas assez important pour faire face à la concurrenceNote de bas de page 69. Le Conseil a lancé un appel de demande de licences pour des services « complémentaires » de télévision payante de langue française, mais aucun demandeur ne s’est manifestéFootnote 70. Il est intéressant de noter que, même lorsque le Conseil a invité les demandeurs à s’exprimer ouvertement sur la « viabilité » de ce point de vue, et qu’il a prorogé le délai d’application afin d’intégrer des services compétitifs, aucune demande n’a été présentéeFootnote 71.

Les pour et les contre de la protection des genres

Les trois fondements de la politique publique générale sur l’exclusivité des genres énoncés par le CRTC en 2011 peuvent être subdivisés en au moins six sous-objectifs distinctsNote de bas de page 72, comme suit :

Optimiser le soutien à la programmation canadienne

1. Réduit la concurrence venant des émissions étrangères.

2. Permet aux services de respecter les exigences en matière de programmation canadienne – p.ex., évite que les services de catégorie B, dont la contribution est moindre, entrent en concurrence directe avec les services de catégorie A, dont la contribution est plus élevée.

Optimiser la diversité

3. Diversité des émissions offertes

4. Diversité de la propriété

5. Maintient les services étrangers à l’écart.

Protection des consommateurs

6. Les consommateurs savent à quoi s’attendre.

Dans le cadre de cette analyse, le présent document ne remet pas en question les objectifs, mais questionne l’efficacité de la mesure d’exclusivité des genres à atteindre ces objectifs.

Réduire la concurrence venant des émissions étrangères

Le Conseil n’a jamais spécifiquement soutenu l’argument selon lequel l’exclusivité des genres pouvait réduire la concurrence venant des émissions étrangères et ainsi libérer plus de fonds pour les émissions canadiennes, mais c’est un argument logiqueNote de bas de page 73.

C’est-à-dire que le fait de confiner les services dans des genres précis réduit la concurrence entre les émissions pour chaque genre, et par le fait même réduit les montants qui doivent être versés pour soumissionner.

Lorsque les services spécialisés ont été créés et harmonisés avec leurs partenaires des États-Unis (officiellement et non officiellement) c’est ce qui s’est produit. Discovery Canada achetait de Discovery US, History de History, TSN de ESPN, Comedy Network de Comedy Central, MuchMusic de MTV, etc.Note de bas de page 74 Ces ententes ont souvent été avantageuses pour les services canadiens étant donné qu’il n’y avait aucun autre acheteur canadien qui pouvait acheter régulièrement un aussi gros volume d’émissions américaines.

De nos jours, de telles ententes sont encore en vigueur, mais les tarifs sont beaucoup plus élevés. Il existe d’autres possibilités, des services en ligne ou « presque pareils », qui empêchent les services canadiens d’acheter des émissions américaines à bon marché. Par ailleurs, compte tenu des DÉC groupées, un groupe de radiodiffuseurs peut faire le choix de renchérir sur l’offre de ses concurrents pour acheter des émissions étrangères, au détriment de la rentabilité : il s’agit alors d’une décision d’affaires.

En fait, on peut dire qu’un marché encore plus libre pour les émissions étrangères pourrait être essentiel à la survie du système de radiodiffusion.

Un exploitant « pauvre » qui accaparerait un genre dont le potentiel de marché est plus élevé que ce que l’exploitant est prêt à offrir serait une excellente cible pour les services par contournement étrangers. Ouvrir ce genre – et permettre à un nouveau radiodiffuseur ou à un radiodiffuseur mieux outillé d’investir – est une bonne façon d’éviter que les Canadiens abandonnent le système pour se tourner vers les services par contournement étrangers.

Le nouveau monde de la radiodiffusion encourage les produits d’appel. Veillez à ce que votre chaîne et votre marque offre des émissions « incontournables » : à la télévision conventionnelle, cela assurera une cotisation pour la publicité « selon la méthode du coût par mille » et permettra de diffuser et de promouvoir le reste; à la télévision spécialisée, cela assurera que les gens s’abonnent. Dans certains réseaux spécialisés, une seule émission de cette catégorie sera peut-être suffisante. La perte d’argent importe peu, tant que ce type d’émission aide à la promotion de la chaîne et que l’entreprise fait de l’argent.

Les émissions les plus populaires des services par câble américains auront toujours plus d’un soumissionnaire canadien. Les trois groupes de sociétés de langue anglaise - Shaw/CorusNote de bas de page 75, Rogers et Bell – feront une offre s’ils estiment que ça vaut la peine et réussiront à caser l’émission.

Pour les émissions spécialisées laissées à la discrétion du diffuseur, la protection des genres tend à limiter le processus d’appel, et la marge de profit de ces émissions peut être assez intéressanteNote de bas de page 76. L’hypothèse que l’élimination de l’exclusivité des genres fera augmenter les coûts des émissions repose sur la supposition qu’une chaîne de rénovation, par exemple, pourrait décider que les émissions de cuisine ou d’activités de plein air seraient plus rentables et justifierait ainsi le transfert vers un autre format. Il existe peut-être des genres pour lesquels un changement complet serait envisageable. Seul un radiodiffuseur qui examine la rentabilité de sa chaîne spécialisée de genre « X » peut déterminer qu’un changement vers le genre « Y » (et l’achat d’une nouvelle programmation le cas échéant) serait avantageux. Le bon sens par contre nous indique que les changements complets, avec ce que cela implique en terme de coûts liés à l’image de marque, à la programmation et à la confusion de la clientèle, ne seraient plausibles que dans de rares cas (c.-à-d., les chaînes au rendement très faible avec une forte pénétration). La plupart du temps, les changements subtils – l’ajout d’émissions phares populaires dans la même grille horaire d’émissions générales – sont la meilleure option, ensuite il est toujours possible de changer l’ensemble de l’image ou de la perception de la chaîne sans le faire d’un seul coup.

Empêcher les services de catégorie B dont la contribution est moindre d’être en concurrence directe avec les services de catégorie A dont la contribution est plus élevée

Cet argument a tenu la route pendant un certain temps.

Les services de catégorie B populaires ont atteint un niveau de distribution au moins aussi élevé ou plus élevé que les services de catégorie A moins populaires. Pendant que les services de catégorie B n’avaient aucune exigence en matière de DÉC et ne devaient consacrer que 15 % de leur programmation à la diffusion d’émissions canadiennesNote de bas de page 77,l’idée que l’on puisse laisser deux catégories se faire une concurrence directe était absurde.

Cependant, trois choses ont changé depuis :

  1. Les services populaires de catégorie B sont presque tous rendus à leur deuxième période de licence. Ils sont donc assujettis à des exigences de contenu canadien de 35 %.
  2. Les licences par groupes imposent maintenant des DÉC de 30 % aux groupes corporatifs de catégorie B qui ont des revenus de plus d’un million de dollars. Ceci touche tous les groupes corporatifs de catégorie B à l’exception de ceux qui en sont à leur première ou deuxième année d’exploitationNote de bas de page 78.
  3. Il est presque impossible de lancer un nouveau service de catégorie B de langue anglaise aujourd’hui. Les abonnés n’en veulent pas. Les EDR n’en veulent pas, et les radiodiffuseurs bien établis n’en veulent pas non plus. Il reste peut-être des chaînes de « microcréneaux », mais les services par contournement sont généralement un meilleur véhicule pour ce type de programmationNote de bas de page 79.

L’argument n’a plus de validité ou encore des mesures moins intrusives pourraient être adoptées.

Diversité des émissions offertes

D’un point de vue historique, il est difficile de nier cet avantage. Le fait d’exiger des demandeurs de trouver et de créer de nouveaux genres pour ensuite entrer en concurrence les uns contre les autres afin d’obtenir le privilège d’exploiter une chaîne pour diffuser ces genres a contribué plus que jamais à la diversité des émissions et à l’augmentation de la diversité des émissions canadiennes.

De 1984 à 1999, 65 services américains ont été ajoutés à la liste. De 2000 à 2013, 21 services ont été ajoutés. À une époque où le nombre de chaînes américaines explosait dans ce marché, seuls 21 services ont été diffusés au Canada.

Nos politiques réglementaires ont veillé à ce que les services canadiens occupent presque tous les genres populaires ainsi que la plupart des genres qui n’étaient pas destinés au grand public.

La donne est différente aujourd’hui.

Aujourd’hui il est difficile de prétendre que la protection des genres est un gage de diversité. Du moins sans tenir compte de la diversité de la propriété dont on traitera plus loin.

L’argument qui veut que tous les services vont s’homogénéiser n’est pas appuyé par l’expérience canadienne, américaine et internationale, du moins pas plus que ce qui se produit déjà. Les services achètent des émissions populaires distinctes dans la mesure de leurs moyens et de la capacité d’absorbtion du marché. Le fait qu’un si grand nombre de services cherchent des émissions populaires dramatiques qui cadrent dans leur créneau n’a pas amoindri la diversité, mais provoqué l’âge d’or des émissions dramatiques. La soudaine popularité de la téléréalité et la volonté de nombreux services de s’approprier cette formule a peut-être créé une trop grande diffusion de téléréalité au goût de certains, mais ce n’est pas l’avis de l’ensemble des téléspectateurs. Le marché fonctionne.

Diversité de la propriété

Sans avoir été un objectif clairement défini par la politique en 2008, la favorisation de la diversité de propriété semble représenter un avantage présumé.

Cet argument ne tient pas la route.

En réalité, l’exclusivité des genres peut nuire à la question de la diversité de propriété plutôt que d’y contribuer. C’est-à-dire que les chaînes réellement protégées par l’exclusivité des genres sont les anciens services analogiques de catégorie A. L’exclusivité des genres ne nuit peut-être pas aux services numériques de catégorie A, mais elle nuit très certainement aux services de catégorie B.

Les services de catégorie B sont exclus des « meilleurs » genres et coincés dans des « microcréneaux » qui laissent peu de place pour la croissance. On arrive alors à un résultat aberrant comme la Blue Ant Aux (chaîne de musique) dont on a d’abord empêché le lancement, puis empêchée d’entrer en concurrence directe avec les trois chaînes musicales de catégorie A appartenant à Bell-CTV (alors que Bell, à titre d’EDR, n’offrait pas ces services).

Les services indépendants de catégorie A traditionnels sont maintenant composés uniquement de TV5 (sans but lucratif), de Vision TV, propriété de Zoomer Media et de The Weather Channel/Météomédia, propriété de Pelmorex. La dernière bénéficie de la distribution obligatoire en vertu de l’article 9(1)h) et les deux autres ont présenté une demande à cet égard.

La nécessité de protéger les chaînes analogiques indépendantes (la plupart étant intégrées verticalement) était peut-être justifiée avant les dix dernières années de consolidation, mais aujourd’hui ce n’est plus le cas.

Les services numériques de catégorie A nous ramènent à la question « les genres ne sont pas tous égaux ».

Les services numériques et indépendants de catégorie A sont actuellement les suivants :

Bold et Travel and Escape ont été achetées par Blue Ant au cours des deux dernières années. Elles représentent deux genres que leurs anciens propriétaires ne jugeaient plus suffisamment rentables ni désirables. Il est peu probable que l’élimination de la protection des genres pousse d’autres acteurs à s’aventurer dans ces genres. Au contraire, cela encouragerait Blue Ant à exploiter ces marques sans contrainte.

One, Mind Body and Spirit, propriété de Zoomer Media, semble être dans la même situation.

La situation d’iChannel, une chaîne d’affaires publiques, propriété de Stornoway, est différente. Elle a perdu contre CPAC dans sa volonté de limiter la concurrence de son concurrent le plus proche et le plus largement distribué. Ses concurrents les plus éloignés sont les services de nouvelles de catégorie C qui sont maintenant bien enracinés et les chaînes comme Documentary. L’élimination de l’exclusivité des genres créerait-elle un peu plus de concurrence pour iChannel? Peut-être un peu. Créerait-elle des opportunités pour iChannel? Possiblement, mais, par contre, ces opportunités ne seraient pas de celles dont de petits radiodiffuseurs indépendants et en manque de capitaux, tels Stornoway, pourraient profiter.

Quel serait donc le principal avantage pour tous ces propriétaires de services de catégorie A à éliminer l’exclusivité des genres? La vente des chaînes.

Le statut de service de catégorie A confère à ces chaînes un accès garanti, moins de forfaits et donc un taux d’abonnements plus élevé que celui des services de catégorie B (étant donné qu’un bon nombre d’entre eux sont soumis à des changements de forfait qui nuisent à leur nombre d’abonnés). En leur permettant la liberté des genres, les trois grands radiodiffuseurs pourraient alors les acheter, ne serait-ce que pour leurs abonnés.

Seule Outtv, qui possède la distribution canadienne la plus faible dans un « microcréneau », ne pourrait en profiter. De toute façon, la chaîne s’est taillée une place dans l’exportation internationale et serait probablement moins intéressée à vendre au Canada.

Paradoxalement, le principal argument en faveur de la protection des genres est de limiter les chaînes indépendantes à des genres dont personne ne veut. Ceci peut avoir pour effet de forcer une diversité de programmation et de propriété qui n’existerait peut-être pas autrement.

Dire que c’est une bonne chose est discutable. Diffuser des émissions que peu de Canadiens souhaitent visionner n’est pas exactement l’argument idéal en faveur de la diversité de programmation. Soutenir les entreprises qui diffusent ces genres et qui autrement ne seraient pas viables est un luxe que l’on ne peut se permettre dans le contexte actuel avec le système ouvert et la concurrence des services par contournement.

Maintient les services étrangers à l’écart

L’hypothèse que l’exclusivité des genres protège le marché canadien des services étrangers est une hypothèse courante. En fait les politiques sont semblables, mais n’ont aucun lien.

Depuis longtemps, la politique du Conseil est d’interdire l’entrée directe (sur la liste des services admissibles) des services étrangers qui concurrencent totalement ou en partie les services canadiens, dans le but de « s’assurer que les services canadiens autorisés sont à même de respecter leurs engagements et obligations à l’égard de la programmation canadienne ainsi que les autres objectifs énoncés dans la Loi sur la radiodiffusion - responsabilités que n’ont pas à assumer les services non canadiens.»Note de bas de page 80 Cette politique a donné lieu à des interprétations et à des applications intéressantes (p.ex., CMT) et a récemment été modifiée pour exclure les services en langue tierceFootnote 81.

Il est également intéressant de noter que la politique a largement fonctionné malgré le fait qu’aucune politique « réciproque » de protection des genres n’existait de l’autre côté de la frontière. La notion de « concurrence partielle ou totale » est ponctuelle et relative à un moment précis. Après avoir passé l’examen, les services ne sont pratiquement jamais retirés de la listeNote de bas de page 82. Si l’examen n’est pas réussi, il y a toujours la possibilité de présenter une nouvelle demande.

Le test en matière d’exclusivité des genres est la « concurrence directe ». Il n’est pas très clair si les tests canadiens et étrangers sont différents mais, en réalité, ils sont appliqués dans des circonstances différentes.

L’élimination de l’exclusivité des genres ne doit pas entraîner l’élimination des tests appliqués aux services étrangers. En pratique, ces tests pourraient être plus difficiles à mettre en pratique. Comme c’est le cas pour les services étrangers, les services canadiens pouvant faire concurrence devraient être étudiés directement et sans dépendre uniquement de la définition de la nature des services. En outre, un service canadien qui aurait transféré dans un genre occupé par un service américain au Canada n’aurait vraisemblablement pas le droit de demander le retrait de ce service.

L’incidence la plus importante serait peut-être d’ordre stratégique et juridique. Si, à l’instar de la règle sur les services étrangers, le principe d’exclusivité des genres sert à s’assurer que « les services canadiens autorisés sont à même de respecter leurs engagements », le retrait de l’exclusivité des genres remet en question la pertinence de cette règle. Comme nous l’avons déjà indiqué au sujet de cet enjeu, une discrimination directe contre les intérêts des États-Unis constituerait une mesure commerciale.

Protéger les consommateurs

L’idée que l’exclusivité des genres permet aux consommateurs de « savoir à quoi s’attendre » semble être un constat a posteriori. Cette notion n’est apparue qu’en 2011, au moment de l’établissement de la politique.

Peu importe d’où vient ce principe, il est difficile de faire valoir que les consommateurs ont besoin de ce genre de protection du CRTC.

Le CRTC ne réglemente pas les marques de commerce. Ce sont toutefois les marques de commerce et le marketing connexe qui définissent principalement ce que sont les chaînes.

Les radiodiffuseurs veillent toujours à ce que les consommateurs soient bien au courant de ce que représente la nouvelle « chaîne X », ou du moins s’assurent que l’ancienne marque n’ait plus aucun lien avec la nouvelle.

Aux États-Unis, American Movie Classics est devenue AMC, The Learning Channel : TLC, Arts and Entertainment Television : A&E, etc.

Au Canada, Country Music Television est devenue CMT, MuchMusic : Much, Razer : MTV Canada et ensuite MTV2, talktv : MTV Canada, Canadian Learning Television est devenue CLT, puis Viva qui est devenue Oprah Winfrew Network et presque immédiatement OWN.

En fait les radiodiffuseurs canadiens ont plutôt tendance à procéder à trop de transformations que le contraire. Obligée de respecter les exigences en matière de contenu canadien et les anciennes CDL, MTV Canada ne ressemble plus du tout à MTV, ce qui déçoit probablement grandement de nombreux jeunes Canadiens qui cherchent « le service authentique ».

Dans tous les cas, les EDR se réfèrent à l’énoncé de la nature de service ou exigent une clause « essentiellement similaire » dans leurs ententes d’affiliation. Ainsi, tant du côté des consommateurs que des distributeurs, il semble que le marché s’autoréglemente dans des limites raisonnables.

Arguments défavorables – les objectifs de la politique publique peuvent être réalisés par d’autres moyens

La reconnaissance, inhérente à la politique du Conseil en matière d’octroi de licence pour les services de catégorie C et pour la télévision payante, selon laquelle les genres ne doivent pas tous être traités également constitue le fondement du concept qui justifie l’exclusivité des genres.

Maintenant que la preuve est faite que les genres sont différents, que leurs besoins sont différents et qu’ils nécessitent des niveaux de soutien différents, le besoin d’instaurer des approches ciblées est évident.

Les objectifs de la politique qui sont encore pertinents sont les suivants :

  1. intégrité des DÉC;
  2. diversité de la programmation;
  3. diversité de propriété.

Il semble que la gamme de services qui profiteraient le plus de l’exclusivité des genres sont ceux qui sont la propriété exclusive de services indépendants et/ou qui sont le plus susceptible d’avoir une incidence.

Ceci s’explique fondamentalement par le fait que les grands groupes de radiodiffuseurs verticalement intégrés n’ont pas besoin d’être protégés les uns des autres par le Conseil et surtout que le Conseil n’a pas cette capacité.

Les avantages d’être titulaire

Si Shaw/Corus, Bell ou Rogers du côté anglais ou encore Québecor (et probablement bientôt Bell) du côté français estiment qu’il existe une occasion d’affaires dans un créneau occupé par un de leurs concurrents, la protection des genres ne sera pas son seul obstacle. Des barrières existent à l’entrée, même pour ce type de joueurs (les avantages d’être titulaire, les relations d’approvisionnement bien ancrées, le blocage des droits de diffusion à long terme, la difficulté d’obtenir des contrats de distribution) et l’exclusivité des genres n’est plus le plus important.

Il faut juger l’arbre à ses fruits. L’introduction des licences de catégorie C n’a presque rien changé dans le domaine des nouvelles et du sport.

Il existe bien une exception, le lancement de Sun News par Québecor. Cependant, comme le démontre la demande de distribution obligatoire du service en vertu de l’article 9(1)h)Note de bas de page 83, l’entreprise n’est pas rentable et se situe loin derrière les titulaires de services de nouvelles en terme de pénétration de marché. En fait, le service a été lancé uniquement grâce à une synergie extraordinaire qui dépasse l’intégration verticale des EDR (la chaîne Sun news; l’ancien service de télévision en direct Toronto One distribué au service de base) et à une ferme volonté, malgré les coûts et les risques, de la part des dirigeants de Québecor.

Cependant, pour le Canada anglais, les services de sports, un incontournable pour l’avenir de la télévision, sont encore plus coincés dans une impasse par Bell et Rogers. À la suite de l’acquisition de Maple Leafs Sport & Entertainment Ltd., une apparente « trêve », ou encore un duopole, s’est installée : le dernier service de sport indépendant, The Score, a été racheté par RogersNote de bas de page 84. En 2011, Shaw Media a annoncé publiquement qu’il renonçait à offrir un important service de sport et en avril 2012, il fermait le service de catégorie B Fox Sports World après onze années d’exploitationFootnote 85; peut-être en échange de garanties de distribution pour ses autres marques dominantes de télévision payante et de télévision spécialisée.

Pour le Canada français, la demande de Québecor pour un service grand public concurrent de sport professionnel « TVA Sports » a reçu l’autorisation du CRTC qui lui a accordé une licence de catégorie 2 en 2010Note de bas de page 86. Le lancement sur le marché s’est fait en septembre 2011, en collaboration avec Rogers Sportsnet.

Compte tenu des nombreuses plateformes, de l’abondance de contenu dans les genres (mode de vie, réalité, musique et même émissions dramatiques) et des grandes entités intégrées verticalement, l’exclusivité des genres n’est qu’un mince obstacle aux objectifs des entreprises. En outre, comme il a déjà été noté, les DÉC de groupe et la règle de l’imposante catégorie B maintiennent l’intégrité des DÉC.

Le rôle des services indépendants

L’utilité de l’exclusivité des genres a été réduite à la simple prétendue protection des services indépendants. Cela dit, cette protection est spectaculairement inefficace.

Comme il a déjà été souligné, l’exclusivité des genres fait maintenant plus de mal que de bien aux ambitions des services indépendants et à la diversité. Cantonnés dans leur petit créneau essentiellement de catégorie B, « moins populaire », les services indépendants victimes des débranchements et des changements de forfait risquent de perdre leurs abonnés jusqu’au point de défaillance.

Si l’exclusivité des genres sert maintenant à appuyer les services indépendants, on peut se demander pourquoi il faut soutenir ces services. Les objectifs ne sont pas exactement les mêmes.

Les raisons pour appuyer les services indépendants (c.-à-d. la diversité de propriété) sont vraisemblablement les suivantes :

Naturellement, ceci tend vers des politiques qui cherchent à appuyer les services indépendants en tant que classe distincte (c.-à-d. code de déontologie sur l’intégration verticale; ratio 3:1) et/ou en lien avec les services qu’ils détiennent (c.-à-d., licences de catégorie A, exclusivité des genres, distribution obligatoire au service de base).

De ce point de vue, il semble évident qu’il existe des façons plus efficaces d’appuyer les radiodiffuseurs indépendants que l’exclusivité des genres. Pour appuyer la classe, le Code de déontologie sur l’intégration verticale pourrait être élargi, des règles plus précises pourraient être appliquées ou encore la règle du ratio 3:1 pourrait être appliquée sans exception. Pour appuyer les genres les plus méritants, un plus grand nombre de licences de catégorie A pourrait être accordé aux services indépendants ou l’article 9(1)h) pourrait être utilisé pour préciser les conditions de distribution.

Un plus grand recours à l’article 9(1)h)

L’usage des ordonnances de distribution obligatoire par le Conseil en vertu de l’article 9(1)h) a jusqu’à présent été limité à la distribution au service numérique de base pour les services d’intérêt public « exceptionnels ». Comme l’ont démontré APTN, Accessible Media, Weather Network/Météomedia et d’autres, l’octroi de la distribution obligatoire en vertu de l’article 9(1)h) ne garantit en rien la survie d’une chaîne indépendante. Le Conseil a prévu une audience le 23 avril 2013 pour entendre les nouvelles demandes et les renouvellements de la distribution obligatoire en vertu de l’article 9(1)h). Les demandes qui seront accordées seront presque exclusivement pour des services indépendants.

Pour le Conseil, la difficulté réside dans le fait que l’imposition d’une distribution au service numérique de base est un lourd fardeau pour les EDR et une mesure imposée aux consommateurs, alors qu’en même temps, la concurrence des services par contournement est croissante. Par conséquent, il faut y avoir recours avec parcimonie et l’envisager dans les cas les plus exceptionnels.

Bien que l’article 9(1)h) soit devenu un synonyme de distribution obligatoire au service numérique de base, ce n’est pas exactement ce qu’il stipule dans le cadre la Loi sur la radiodiffusion. Voici l’énoncé exact :

9 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le Conseil peut, dans l’exécution de sa mission :[…]

h) obliger ces titulaires à offrir certains services de programmation selon les modalités qu’il précise.

En d’autres termes, les modalités et conditions de la distribution en vertu de l’article 9(1)h) pourraient prévoir :

Rien n’empêche le CRTC d’utiliser d’autres options de distribution que la distribution au service numérique de base dans ses ordonnances de distribution en vertu de l’article 9(1)h).

Par exemple, si le Conseil accorde à un service indépendant viable (sans être exceptionnel) une ordonnance exécutoire d’« être groupé avec le service intégré verticalement équivalent possédant la plus forte pénétration », celui-ci n’obtient pas nécessairement 100 % des foyers numériques, mais une distribution à titre facultatif aussi élevée que 60 ou 80 % lui est garantie.

Une telle approche serait plus favorable aux consommateurs et permettrait de mieux adapter les garanties de distribution aux besoins et aux exigences précis des services indépendants concernés. Ce serait toujours une mesure imposée aux consommateurs, mais uniquement à ceux qui s’abonnent à de tels services. Les titulaires bénéficieraient d’un statut plus avantageux que celui d’un service de catégorie A, mais moins que celui d’un service distribué au service de base numérique.

Personnalisation des exigences en matière de DÉC et de diffusion de contenu canadien

En ce qui concerne les anomalies qui peuvent être causées par des services concurrents qui n’ont pas les mêmes obligations en matière de DÉC et de contenu canadien, la personnalisation des exigences en matière de DÉC et de contenu canadien aux circonstances individuelles pourrait être une solution.

Dans l’éventualité où l’approche cas par cas s’avère inefficace, des conditions de licence normalisées pourraient être élaborées. Par exemple :

Ainsi, un service de catégorie B compétitif, étant en mesure d’atteindre des niveaux de distribution semblables à ceux d’un titulaire de service de catégorie A, ne profiterait pas d’obligations moindres. Le système ne subirait pas de perte nette en terme de contribution et le service de catégorie A ne pourrait gagner sur le service de catégorie B en raison d’un avantage réglementaire.

Remplacer le soutien à la diversité par le soutien aux services indépendants

Dans les faits, l’appui aux services indépendants vient remplacer le soutien à la diversité des formats et des voix éditoriales. Inquiets de voir le milieu de la radiodiffusion privée envahi par les trois grands groupes intégrés verticalement de langue anglaise et les deux grands groupes intégrés verticalement de langue française, nous veillons à ce que les services indépendants subsistent, nous nous confortons dans l’idée que ces services occuperont et protégeront les créneaux qui ne sont pas occupés par les grands groupes. En retour, ceux-ci doivent s’en tenir aux genres que l’on protège et éliminer les inégalités relatives aux contributions.

Autres arguments contre l’exclusivité des genres

Pour soutenir sa proposition selon laquelle le Conseil devrait éliminer l’exclusivité des genres, Rogers a présenté les arguments suivants :

  1. l’exclusivité des genres limite la concurrence et l’innovation;
  2. il y a eu une nette diminution des genres dans la programmation des services de catégorie A;
  3. la plupart des services de catégorie A respectent les critères du Conseil en matière d’ouverture des genres protégés à la concurrence;
  4. l’élimination de l’exclusivité des genres ne mettrait pas en péril les exigences en matière de contenu canadien et de diffusion d’émissions canadiennes.

Arguments favorables – l’exclusivité des genres présente plus d’avantages que de désavantages

L’origine de l’argument en faveur du maintien de l’exclusivité des genres se trouve dans au moins quatre sous-arguments :

Ce sont des arguments assez vagues, mais non sans impact. Ils se sont manifestés par une certaine hésitation de la part de nombreux services payants et spécialisés à demander un changement fondamental, et par une certaine hésitation de la part de presque tous les radiodiffuseurs à saisir l’occasion de transférer leurs services de catégorie A protégés vers des services de catégorie B ou de catégorie C ouverts à la concurrence :

Et si…

Tous les scénarios possibles peuvent être imaginés pour démontrer que l’élimination de l’exclusivité des genres est une mauvaise idée.

Par exemple : Supposons que la protection des genres est éliminée et que quelques gros diffuseurs lancent leur propre chaîne météo et/ou développent leur chaîne de nouvelles pour offrir de nouveaux produits météo à l’écran, en ligne et sur mobile. L’auditoire de Météomédia s’affaiblit progressivement mais, en vertu de l’article 9(1)h), la chaîne reste solvable. Éventuellement, les revenus et l’auditoire vont baisser au point que Météomédia ne sera même plus en mesure de satisfaire aux exigences en matière d’alerte en cas d’urgence. Elle perd alors toute pertinence et ne n’honore plus son statut spécial. C’est la faillite totale.

Un autre exemple : Supposons que dans un contexte post-exclusivité des genres, les services par contournement poussent les gros diffuseurs vers le centre. Ceux-ci coupent alors les chaînes périphériques et plus marginales (les leurs et celles de services indépendants) avec des changements de forfait ou des éliminations dans le but de protéger les services de base et le garder à des prix inférieurs. Ces mesures sont un échec. Comme les stations de radio locales aux États-Unis qui ont « laissé tomber » leurs éléments locaux dans les années 2000, la télévision canadienne perd un peu plus de sa diversité et de son avantage concurrentiel. Les entités intégrées verticalement réalisant qu’elles peuvent faire plus d’argent avec moins d’effort en devenant de simples convoyeuses de fournisseurs de services internet pour les services par contournement étrangers et laissent tomber la partie EDR de leur entreprise, ne laissant aucune entité pour poursuivre le rêve canadien de la radiodiffusion.

Ces arguments ont tous le même défaut : ils représentent des situations qui pourraient se produire de toute façon.

Il y a une autre situation (complètement à l’opposé du dernier exemple) qui pourrait être provoquée, en théorie, par l’élimination de l’exclusivité des genres. Supposons que les trois grands diffuseurs de langue anglaise souhaitent avoir leur propre chaîne dans les 10 ou 20 meilleurs genres. Notre marché n’a malheureusement pas la taille suffisante pour soutenir plusieurs services dans certains genres et les services canadiens qui risquent d’échouer vont ouvrir la porte à des services étrangers. S’il existait trois chaînes de télévision dans le genre comédie, aucune ne réussirait à survivre, ce qui laisserait la place à la chaîne américaine Comedy Central.

Enfin, il y a les « conséquences non souhaitées » légitimes. Même si les grands diffuseurs ne se font pas concurrence dans tous les principaux genres, on peut s’attendre à ce que la concurrence s’intensifie. Rogers, qui possède moins de services affiliés que Shaw ou Bell à l’heure actuelle, chercherait à réduire cet écart, en accordant la préférence qu’il convient afin d’aider ses nouveaux services – ceci causerait probablement des niveaux de pénétration, de revenus et de rentabilité moins élevés pour les autres anciens services de catégorie A juste au moment où ils doivent concurrencer les services par contournement étrangers.

Il faut également se demander si un monopole de facto est le meilleur moyen pour faire la concurrence aux services par contournement étrangers. Est-ce que les nouveaux arrivants devront encore être bloqués et les services encore protégés de la concurrence directe, 15, 20 et même 30 ans après avoir reçu leur licence?

Philosophie et intérêts particuliers

Au bout du compte, ce sont des questions de philosophie, de risque, de transitionNote de bas de page 90 et aussi à savoir s’il est possible d’avoir des politiques plus ciblées.

D’un point de vue philosophique, l’exclusivité de genres est déphasée et ne suit pas la tendance générale qui tend vers une plus grande souplesse en matière de réglementation, moins d’intervention et aussi vers plus grande dépendance aux forces du marché. Les risques sont dans les deux camps. Pour chaque argument à l’effet que l’élimination de l’exclusivité des genres menace la diversité ou les services indépendants, un autre argument fait valoir que sans une plus grande souplesse de réaction, le système est condamné.

Chaque fois qu’un service indépendant ou un genre requiert un soutien, il existe une façon plus ciblée et moins intrusive de le fournir. Si l’on se questionne à savoir si les plus grands joueurs doivent être protégés contre eux même, il faut se rappeler que le milieu concurrentiel des services par contournement ne le permet pas de toute façon.

Ceci étant dit, chaque intervenant continuera pour l’instant d’aborder la question de la protection des genres du point de vue de son statut et de ses propres intérêts :

Éventuels modèles de transition – Le changement doit-il être total ou peut-on trouver un juste milieu?

L’objectif ultime

Les modèles dépendent en grande partie de l’objectif ultime, à savoir si l’on vise l’élimination progressive ou seulement une « simplification » de l’exclusivité des genres et, de façon plus pointue, du degré de préoccupation pour des questions telles que :

Aux fins de cette analyse, nous utiliserons les expressions « élimination progressive » et « simplification » au sens large.

« Simplification » ou « rationalisation » de l’exclusivité des genres

Trois raisons différentes peuvent justifier une décision visant la « simplification » ou la « rationalisation » de l’exclusivité des genres, soit :

  1. s’il s’agit d’une mesure provisoire jusqu’à l’élimination progressive (avant les renouvellements de 2016, par exemple);
  2. s’il s’agit d’une mesure provisoire en vue de tâter le terrain en prévision d’une élimination progressive réelle ou potentielle;
  3. s’il s’agit d’une façon de conserver les présumés avantages de la politique tout en éliminant ses aspects inutiles ou contraignants.

Quelle que soit la raison, le Conseil dispose d’un certain nombre de mesures qu’il peut combiner ou prendre séparément.

Pour les services de catégorie A seulement

Il serait logique de croire que ces services occupent une place privilégiée (outre les dispositions de l’article 9(1)h)), qu’ils contribuent le plus, qu’ils sont les plus populaires auprès des consommateurs et que, compte tenu de la grande diversité des genres et du 10 % de souplesse dont ils disposent, l’exclusivité des genres ne constitue pas un fardeau excessif.

L’élimination des exigences relatives au genre pour les services de catégorie B favoriserait la concurrence et le dynamisme dans le secteur des services spécialisés les plus vulnérables aux services par contournement, ainsi que l’intervention des EDR face aux services par contournement (modification et réduction des forfaits, etc.). Les services de catégorie B auraient un avantage concurrentiel par rapport à ceux de la catégorie A compte tenu des genres non restreints qui les aident à contrebalancer leurs droits de distribution limités. Tout autre avantage dont pourraient bénéficier les services de catégorie B quant à une diminution des dépenses en matière de programmation canadienne serait automatiquement balayé s’ils font partie d’un grand groupe d’entreprises. (Des mesures pourraient être mises en œuvre pour ce qui est de la diffusion de contenu canadien et les entreprises indépendantes de catégorie B.) En outre, la capacité des services de catégorie B de concurrencer nez à nez un service de catégorie A existant, bien que ce soit en théorie possible, serait limitée par le nombre moins élevé d’abonnés et de revenus.

Si le Conseil voulait donner un coup de main aux services indépendants de catégorie B, il choisirait d’éliminer l’exclusivité des genres pour ces services seulement, ou du moins leur donner une longueur d’avance.

Pour les services de catégorie B seulement

Il est intéressant de constater que certaines personnes souhaitent (peut-être pour de mauvaises raisons) une approche complètement différente.

Les services de catégorie B pourraient encore concurrencer entre euxNote de bas de page 92, mais seraient incapables de concurrencer avec les genres de la catégorie A, même si les services de cette dernière catégorie n’étaient plus contraints par les genres.

La concurrence, les attentes des EDRNote de bas de page 93, les forfaits et le fait d’être titulaire devraient garantir que les services de catégorie A couvrent sensiblement les mêmes genres, de toute façon. Advenant qu’un genre soit complètement abandonné, le Conseil pourrait, en vertu de l’article 9(1)h), lancer un appel de propositions pour desservir ce genre s’il juge que celui-ci est d’intérêt public.

Le fait de continuer à contraindre les services de catégorie B aux exigences des genres pourrait éventuellement entraîner une concurrence « déloyale » avec les services de catégorie A, alors que le système reposera de plus en plus sur leur force pour ce qui est de garder les abonnés branchés.

Similairement au cadre élargi des services de catégorie C, ce changement entraînerait une meilleure concurrence et davantage d’innovations dans les genres destinés au grand public sans toutefois entraîner de concurrence « déloyale » avec les services de catégorie B.

Réduction ou élimination des éléments subjectifs

La réduction ou l’élimination des éléments les plus subjectifs en ce qui concerne la protection des genres pourrait garantir une meilleure compréhension de la politique et, par le fait même, en faciliter le respect et l’application.

Tel que noté précédemment dans ce document, en réglant les conflits entourant le respect de la protection ou des genres, le Conseil s’est mis dans une position où il doit maintenant se baser et analyser la question la plus subjective de la description de la nature du service au lieu de la question plus objective des définitions des catégories d’émissions.

L’application des genres se fait bien pour les services de longs métrages, de sports, de musique ou d’information. Là où cela se complique, c’est quand vient le temps d’appliquer les genres à des services qui transcendent les catégories d’émissions et/ou qui reposent sur ces catégories d’émissions, elles-mêmes subjectives. OWN et G4 en sont de bons exemples.

On peut donc se demander pourquoi se fonder sur la nature subjective de la description du service. Pourquoi ne pourrait on pas, à tout le moins, limiter les problèmes de conformité en se concentrant sur l’aspect le plus objectif des contraintes entourant les catégories d’émissions?

Les avantages sont nombreux. Une réduction des problèmes de conformité. Une application simplifiée (le CRTC pourrait simplement décider de ne plus faire appliquer l’aspect descriptif de la nature du service et laisser les titulaires de licence faire des demandes de modifications à cet effet s’ils le souhaitent). L’établissement de critères plus généraux et objectifs quant au genre. Une plus grande souplesse pour les titulaires de licence (à supposer que c’est ce qu’ils souhaitent). Mais la possibilité de continuer d’adapter les exigences entourant les DÉC et le contenu canadien aux catégories d’émissions. Ainsi, les services qui reposent en bonne partie sur les émissions dramatiques pourraient, par exemple, continuer à justifier le fait que leurs frais d’abonnement sont plus élevés que ceux des services présentant des émissions moins coûteuses.

Les inconvénients se résument en deux points.

Le premier est qu’un seul genre serait ainsi protégé, à savoir celui qui dépend des catégories d’émissions. Cela permettrait, du moins dans une certaine mesure, de continuer de garantir l’existence de chaînes spécialisées dans la diffusion de longs métrages, d’émissions sportives, d’émissions musicales, de documentaires, d’émissions dramatiques, de contenu religieux, d’émissions éducatives et d’émissions d’informationNote de bas de page 94. Nous pourrions continuer d’utiliser les limites associées aux droits d’auteur quand cela est pertinent, afin de séparer les fenêtres de télévision payante, de radiodiffusion et de longs métrages et comme (faible) comparaison dans les appels associés aux données démographiques. Toutefois, il ne serait plus question de séparer les chaînes consacrées aux films selon qu’il s’agit de comédies romantiques, de films d’action, de films d’horreur ou de contenu pour enfants. Nous laisserions le marché s’en charger. Nous ne nous occuperions plus de veiller à ce qu’il y ait une chaîne « maison et jardin », une chaîne « plein air » ou une chaîne « arts ». (Certaines personnes diront que c’est déjà le cas, de toute façon.)

Le deuxième, et probablement le plus gros désavantage, serait que le Conseil a déjà fait un grand pas dans la direction opposée. Il a en effet élargi sa capacité à se fonder sur les catégories d’émissions grâce à sa règle du 10 %. Le fait de s’en tenir exclusivement aux catégories d’émissions pour déterminer l’exclusivité des genres pourrait être vu comme une forme très laxiste de l’application de cette règle.

Réduction ou élimination des limites associées aux catégories d’émissions

Cette approche complètement opposée a été proposée par CTVgm et Canwest en 2008.

Les deux radiodiffuseurs étaient en faveur de l’élimination des interdictions de diffusion de certaines catégories d’émissions ainsi que de l’abolition des limites pour toutes les catégories. Ils proposaient que le seul outil de réglementation utilisé pour vérifier que les services respectent le genre pour lequel ils ont reçu une licence serait la description narrative de la nature du service présenté dans la condition de licence.

Ainsi, il incomberait au Conseil d’interpréter et de faire appliquer l’aspect le plus subjectif des définitions de la nature du service. Seuls les cas évidents de concurrence directe risqueraient de se solder par une conclusion de violation conduisant ainsi à un cadre de services concurrents spécialisés qui entraînerait par le fait même une distinction des genres.

Groupes

La question des groupes de genres a déjà été adoptée par le CRTC pour les services de catégorie C. L’élargissement de cette approche pourrait se faire simplement par l’assouplissement des critères ou par le recours obligatoire à cette façon de faire.

Lors de son examen en 2008, Rogers a recommandé au Conseil d’établir cinq genres larges (émissions d’information, émissions sportives, émissions d’intérêt général, émissions musicales et émissions dramatiques), pour lesquels les exigences en matière de diffusion et de dépenses seraient les mêmes. D’autres ont proposé des regroupements différentsNote de bas de page 95.

Récemment, Rogers a proposé d’avoir recours à six genres (en plus des émissions d’information et sportives), soit les émissions comiques, les documentaires, les émissions dramatiques, les émissions destinées aux femmes, les émissions sur le style de vie, ainsi que les émissions de contenu musical et jeunesse. La majorité des services de catégorie A respectaient les critères du Conseil en ce qui concerne la concurrence des genresNote de bas de page 96.

Toutefois, tel que démontré par les réactions soulevées par la proposition du Conseil d’adopter un groupe de genres pour les émissions musicales, quelle que soit la définition que l’on donne à ce groupe, il y aura certainement des gagnants et des perdants, sans compter qu’on risque de provoquer un transfert vers la catégorie C pour un certain groupe de genres spécialisés, ce qui risque de causer des difficultés par rapport à un changement simultané pour tous les genres.

Probablement que le Conseil pourrait trouver un juste milieu entre les 6 nouveaux groupes proposés par Rogers et les 12 identifiés par la NCTA qui pourraient se rapprocher davantage des critères de la catégorie C. Un tel changement, parfois bénéfique et parfois désavantageux pour les services et les nouveaux services potentiels au sein d’un groupe de radiodiffuseur, pourrait aider à trouver un terrain d’entente acceptable.

Dans l’ensemble, une telle approche serait évidemment plus « faible » que les règles qui s’appliquent actuellement quant à l’exclusivité des genres. Ceux qui sont en faveur de l’exclusivité des genres pourraient même la considérer comme un échec. D’un autre côté, les personnes en faveur de l’élimination progressive de l’exclusivité des genres pourraient la voir comme un pas dans la bonne direction. Néanmoins, il s’agirait d’une approche plus « efficace » que si l’on décidait de se fonder exclusivement sur les catégories d’émissions mentionnées ci-dessus. Elle reposerait toujours sur la description de la nature du service (par exemple, une chaîne consacrée au style de vie), lorsque nécessaire, avec tous les avantages et les inconvénients que cela implique.

Combinaison de solutions

Si l’on considère que les services touchés seraient ceux de la catégorie A, de la catégorie B ou les deux, et que la façon d’y arriver serait de se fonder sur les catégories d’émissions, la description de la nature du service et les groupes de genres, on arrive à neuf combinaisons différentes.

Ce nombre de combinaisons différentes, voire contradictoires, ne fait que refléter à quel point les objectifs de la politique peuvent être complexes et ambigus, tout comme leur atteinte. Une hausse de la concurrence et des contributions pourrait nuire à la diversité des émissions et aux diffuseurs indépendants. D’ailleurs, il y a lieu de se demander si la diversité des programmes serait réellement dans l’intérêt des consommateurs qui ne l’ont jamais demandée.

Songer à retirer l’exclusivité des genres des services de catégorie A et de catégorie B constitue un exercice de réflexion très intéressant. On peut se demander si les services de catégorie A ont véritablement besoin d’une protection des genres par rapport aux services de catégorie B, ou si les services de catégorie B ont besoin d’un avantage concurrentiel pour survivre.

Un tel exercice force les décideurs à définir précisément leur objectif et à évaluer ce qu’il est possible de faire dans les circonstances actuelles et ce qui exige le recours à la réglementation.

Élimination progressive de l’exclusivité des genres

L’élimination progressive de l’exclusivité des genres, s’il s’agit de l’objectif ultime, peut être atteinte soit par une mesure immédiate, soit par une série d’étapes.

Le seul avantage réel de procéder par étapes, surtout si l’on opte pour des groupes de genres, serait de permettre au CRTC de reculer si celui-ci n’est pas engagé à 100 % dans ce qu’il fait ou s’il souhaite avoir la possibilité de ne pas se rendre jusqu’au bout.

En abolissant l’exclusivité des genres d’un seul coup, il n’y aurait pas de retour en arrière possible.

Logiquement, il y aurait trois moments pour agir :

  1. immédiatement après qu’une décision sera prise à ce sujet, pendant le premier trimestre de 2014, par exemple;
  2. un certain temps après la prise d’une décision, soit au début de la prochaine année de radiodiffusion ou environ un an après;
  3. au moment du renouvellement de la licence par groupe de propriété, aux alentours de septembre 2016.

La différence entre les deux premières options serait minime en termes d’incidence sur la politique, mais pourrait avoir des répercussions matérielles du point de vue d’un titulaire de licence. Il serait en effet préférable de laisser aux titulaires de licence la possibilité d’apporter des changements à leur régime, que ce soit au niveau des émissions diffusées ou des attentes budgétaires, que ceux-ci soient ou non en faveur de l’élimination de l’exclusivité des genres.

D’un point de vue légal, les titulaires de licence qui, pour la plupart, en sont au milieu de leur période de licence, seraient invités à présenter une demande de modification de leurs conditions de licence afin d’éliminer les définitions de la nature du service. Comme les titulaires de licence auraient avantage à le faire, il ne faudrait pas que le Conseil s’inquiète si certains titulaires de licence choisissent de ne pas le faire.

Le fait d’entamer l’élimination de l’exclusivité des genres au cours des prochaines années ou d’attendre la période de renouvellement des licences en 2016 (ou plus tardNote de bas de page 97) aura une incidence tant du point de vue de la politique publique que du point de vue opérationnel.

Pour ce qui est de la dernière option, la plupart des observations présentées dans le cadre du processus d’octroi de licence de groupe de 2011 contre la proposition de Rogers d’éliminer l’exclusivité des genres reposaient sur l’argument selon lequel il était impossible de prévoir le résultat d’une telle mesure. Les titulaires de licence ont en effet préparé leurs plans d’affaires en tenant compte de l’exclusivité des genres, et ils étaient donc préoccupés par le fait que l’abolition de l’exclusivité des genres allait avoir une grande incidence sur leurs modèles d’entreprise et les engagements qu’ils avaient promis de remplir.

L’adoption d’une norme commune à tout le groupe à l’égard des dépenses en émissions canadiennes a considérablement atténué ces préoccupations. Le seul enjeu principal restant en matière de concurrence est que l’engagement de Rogers à l’égard des émissions d’intérêt national est inférieur à la moyenne alors que celui de Corus et d’Astral est supérieur à la moyenne. L’élimination de l’exclusivité des genres entraînerait immanquablement une réflexion sur les engagements communs à l’égard des émissions d’intérêt national, du moins pour les groupes composés principalement de services spécialisés et de services traditionnels.

D’un point de vue pratique, l’élimination de l’exclusivité des genres au milieu de la période de licence poserait un autre problème : celui de savoir quoi faire avec les engagements actuels. Pour Astral et Corus, qui bénéficieraient d’une réduction de leur engagement au titre des émissions d’intérêt national, la demande d’élimination des définitions de la nature du service serait probablement accompagnée d’une demande de réduction des dépenses au titre des émissions d’intérêt national. La simple élimination de l’exclusivité des genres pourrait constituer un facteur suffisant pour encourager Bell et Corus à présenter une telle demande. Rogers, pour sa part, aurait un choix à faireNote de bas de page 98. Si, malgré les chiffres des années antérieures, Rogers en venait à conclure que l’élimination de l’exclusivité des genres ne pouvait permettre de compenser pour la hausse des dépenses au titre des émissions d’intérêt national, l’entreprise risque fort de ne pas présenter de demande. Le CRTC se verrait toutefois dans l’obligation de l’imposer en 2016Footnote 99.

Sur le plan de la politique publique, il est tout à fait logique de procéder à la mise en œuvre d’une nouvelle orientation stratégique le plus tôt possible. S’il y a lieu d’apporter un changement, il n’est pas logique d’attendre pour le faire. Dans le même ordre d’idées, il est encore moins logique d’appliquer une décision si les circonstances ayant mené à cette décision ont eu le temps de changer avant sa mise en œuvreNote de bas de page 100.

L’inverse est aussi vrai. Le Conseil n’aurait pas dû lancer un processus d’examen en vue de l’élimination de l’exclusivité des genres s’il n’avait pas l’intention d’agir maintenant. Il aurait été plus sensé d’attendre en 2015 ou 2016 s’il envisageait d’attendre à la prochaine période de licence des principaux groupes avant de mettre en œuvre les nouvelles mesures.

Réglementation avisée

Cette expression ne fait peut-être pas l’unanimité, mais elle est très pertinente ici.

L’exclusivité des genres ne peut être considérée comme une « réglementation avisée ».

Il s’agit d’une mesure contradictoire, ambiguë, difficile à comprendre, coûteuse à mettre en œuvre, et elle pourrait bien s’avérer néfaste pour le système canadien de la radiodiffusion tel que nous le connaissons aujourd’hui.

De plus, dans la mesure où certains de ses objectifs sous-jacents demeurent pertinents et où ils nécessitent une intervention sur le plan réglementaire, il serait possible de la mettre en œuvre sans procéder de manière aussi intrusive.

Le CRTC n’est pas obligé de s’en tenir, dans la mesure du possible, aux forces du marché dans ses fonctions de réglementation et de supervision du système canadien de la radiodiffusion. Mais dans le présent cas, c’est bien ce que l’on cherche à faire en argumentant.

Il y a toujours eu quelque chose de contraignant, pour ne pas dire sinistre, au fait qu’un organisme gouvernemental dicte le type d’émissions qu’un service canadien doit diffuser ou, pour être précis, qu’il ne doit pas diffuser. La protection des genres a davantage favorisé la restriction que la création. Un service devant diffuser X % d’une certaine catégorie d’émissions peut bien avoir été mis en place dans cette optique, mais il ne peut pas réalistement, du moins aujourd’hui, être contraint de consacrer un montant proportionnel ou un montant donné à ce type d’émissions, à les diffuser aux heures de grande écoute ou à en faire la promotion. Et c’est bien ce qui arrive avec la définition de la nature du service. Un service contraint de diffuser une programmation reflétant les intérêts d’une communauté Y ou destinée à P, Q, R et S peut, dans les faits, s’en tenir à n’importe quel aspect d’intérêt pour Y (tant qu’il y a une part de réalité) ou se concentrer presque entièrement sur R tout en ignorant P, Q et S.

Quel que soit le rôle de l’exclusivité des genres, ce concept demeure une notion plutôt idéaliste.

La politique de renouvellement des licences par groupe de propriété s’est détachée de la micro-réglementation en ce qui a trait aux émissions présentées aux heures de grande écoute et à la chaîne sur laquelle elles sont diffusées, de même qu’en ce qui concerne les dépenses en émissions canadiennes. L’élimination de l’exclusivité des genres constitue une étape logique. Il serait probablement plus adéquat d’adopter une politique publique mieux ciblée, qu’il soit question des genres dignes d’intérêt ou des radiodiffuseurs indépendants, afin d’atteindre les objectifs de la politique qui sous-tendent l’exclusivité des genres.

Voilà un point de vue.

L’autre point de vue est que si nous avons pu vivre avec cette politique pendant longtemps, nous pouvons vivre avec encore un peu. Outre l’embarras que subissent occasionnellement l’industrie et le Conseil, ainsi que la nécessité de rationaliser ou d’expliquer les choses, ce n’est pas le type de politique qui amènerait la population à demander l’abolition du CRTC. Et, pour être franc, qui se préoccupe de savoir qu’un service de catégorie A diffuse une programmation qui « ne respecte pas les conditions de licence relatives à leur nature de service »Note de bas de page 101. Si cela ne dérange pas le public ni les concurrents, alors pourquoi le CRTC devrait-il s’en préoccuper?

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