ARCHIVÉ - Décision de télécom CRTC 2008-108

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Décision de télécom CRTC 2008-108

  Ottawa, le 20 novembre 2008
 

Demande de l'Association canadienne des fournisseurs Internet relative au lissage du trafic du service d'accès par passerelle de gros par Bell Canada

Référence : 8622-C51-200805153
  Dans la présente décision, le Conseil rejette la demande qu'a déposée l'Association canadienne des fournisseurs Internet, conformément à la partie VII, réclamant que le Conseil ordonne à Bell Canada de cesser et de s'abstenir de pratiquer le lissage du trafic dans le cas de ses services de ligne numérique à paires asymétriques de gros et, en particulier, de son service de gros nommé Service d'accès par passerelle (SAP).
  Les conclusions du Conseil dans la présente décision touchent uniquement les pratiques de lissage du trafic de Bell Canada relativement à son SAP de gros et reposent sur la preuve produite dans l'instance.
  Le Conseil fait remarquer que les parties à l'instance ont soulevé des préoccupations relatives à des pratiques existantes et émergeantes de gestion du trafic Internet qui débordent la portée de la présente instance. Étant donné l'importance de ces préoccupations, le Conseil amorce, par l'intermédiaire d'un avis public publié aujourd'hui, une instance visant à examiner les pratiques actuelles et éventuelles de gestion du trafic Internet mises en ouvre par les fournisseurs de services Internet touchant les services de détail et de gros. Le processus de cette instance supplémentaire, qui comprendra une audience publique avec comparution, est décrit dans l'avis public de télécom 2008-19.
 

Introduction

1.

Le Conseil a reçu une demande présentée par l'Association canadienne des fournisseurs Internet (ACFI) le 3 avril 2008, dans laquelle elle lui demandait de rendre une ordonnance enjoignant à Bell Canada de cesser et de s'abstenir de pratiquer le lissage du trafic1 dans le cas de ses services de ligne numérique à paires asymétriques (LNPA) de gros et, tout particulièrement, de son service de gros nommé Service d'accès par passerelle (SAP).

2.

Le SAP est un service de gros obligatoire de Bell Canada qu'utilisent les fournisseurs de services Internet (FSI) pour fournir des services Internet de détail. Le SAP achemine le trafic Internet généré par un client d'un FSI des locaux du client vers un point du réseau de Bell Canada, où le trafic regroupé généré par les clients du FSI du SAP est transféré au FSI. Le SAP est fourni conformément à un tarif approuvé par le Conseil (le tarif SAP)2.

3.

Dans la décision de télécom 2008-39, le Conseil a traité de façon accélérée la demande de redressement provisoire présentée par l'ACFI. Dans la présente décision, le Conseil traite de façon définitive la demande de redressement présentée par l'ACFI.

4.

La liste des parties qui ont présenté des mémoires dans le cadre de la présente instance figure en annexe. En outre, plus de 1 300 personnes ont déposé des observations.

5.

On peut consulter le dossier public de l'instance, qui a été fermé le 1er août 2008, sur le site Web du Conseil à l'adresse www.crtc.gc.ca, sous l'onglet Instances publiques.
 

Positions générales des parties

6.

Bell Canada a fait valoir qu'elle pratique le lissage du trafic sur son réseau, lequel consiste à ralentir le débit de transfert de toutes les applications de partage de fichiers poste à poste3 pendant les périodes de pointe, soit de 16 h 30 à 2 h selon la compagnie, tous les jours. Bell Canada a commencé à pratiquer le lissage du trafic Internet généré par ses propres clients abonnés aux services de détail en octobre 2007 et de celui généré par les clients des FSI de son SAP en mars 2008.

7.

Bell Canada a indiqué qu'elle utilise la technologie d'inspection approfondie des paquets (IAP) afin de mettre en ouvre ses pratiques de lissage du trafic essentiellement sur l'ensemble de son réseau.

8.

Selon Bell Canada, le lissage du trafic constitue la meilleure approche pratique permettant de résorber la congestion du réseau ainsi que de régler les problèmes d'investissements visant à accroître la capacité et de la mise en oeuvre de l'établissement des prix en fonction de l'usage. De plus, Bell Canada est d'avis que cette approche est conforme à la Loi sur les télécommunications (la Loi) et au tarif SAP.

9.

Certaines parties ont fait valoir que le lissage du trafic par Bell Canada fait chuter le débit de transfert de fichiers poste à poste jusqu'à un minimum de 30 kilo-octets par seconde (ce qui équivaut à 240 kilobits par seconde). Certaines parties ont ajouté que le débit de transfert de certaines autres applications est réduit dans la même mesure.

10.

Les parties n'étaient pas d'accord sur la question de savoir si le réseau de Bell Canada est congestionné et si les clients des FSI de son SAP sont à l'origine de cette congestion. Par conséquent, l'avis des parties différait sur la question de savoir si, comme Bell Canada l'a fait valoir, le lissage du trafic Internet généré par les clients des FSI de son SAP est nécessaire pour résorber la congestion. Leur avis différait également sur la question de savoir si le lissage général du trafic généré par les applications de partage de fichiers poste à poste pendant les périodes de pointe représente une mesure acceptable pour résorber la congestion du réseau, et si les pratiques de lissage du trafic de Bell Canada touchent uniquement les applications de partage de fichiers poste à poste.

11.

Selon l'ACFI, les pratiques de Bell Canada en matière de lissage du trafic Internet généré par les clients des FSI de son SAP contreviennent aux articles 244 et 365 ainsi qu'aux paragraphes 25(1)6 et 27(2)7 de la Loi, et sont contraires à l'objectif de cette dernière en matière de protection de la vie privée, et Bell Canada aurait dû faire part aux FSI de son SAP de son intention de pratiquer le lissage du trafic.

12.

Le Conseil a défini les questions suivantes dont il traitera dans ses conclusions :
 

a. Les pratiques de Bell Canada en matière de lissage du trafic relatives au SAP contreviennent-elles à l'article 24 et au paragraphe 25(1) de la Loi?

 

b. Les pratiques de Bell Canada en matière de lissage du trafic relatives au SAP contreviennent-elles au paragraphe 27(2) de la Loi?

 

c. La mise en oeuvre par Bell Canada de pratiques de lissage du trafic relatives au SAP, sans l'approbation préalable du Conseil, contrevient-elle à l'article 36 de la Loi?

 

d. Les pratiques de Bell Canada en matière de lissage du trafic relatives au SAP contreviennent-elles aux règles du Conseil sur la protection de la vie privée?

 

e. Bell Canada a-t-elle violé une ordonnance du Conseil l'enjoignant à donner un préavis si des modifications sont apportées aux réseaux?

 

I. Les pratiques de Bell Canada en matière de lissage du trafic relatives au SAP contreviennent-elles à l'article 24 et au paragraphe 25(1) de la Loi?

13.

L'ACFI a fait valoir que le tarif SAP de Bell Canada ne comprend pas de dispositions permettant le lissage du trafic. L'ACFI a indiqué qu'en appliquant unilatéralement le lissage du trafic au SAP, Bell Canada a modifié les conditions de son tarif SAP en réduisant la vitesse et le rendement sans obtenir l'approbation préalable du Conseil, et ce, en violation de l'article 24 et du paragraphe 25(1) de la Loi.

14.

L'ACFI a expliqué que la vitesse est inhérente à la définition du SAP et qu'en outre, dans l'ordonnance de télécom 2006-258, le Conseil a conclu que les renseignements relatifs aux vitesses de transmission offertes pour le SAP sont importants pour les concurrents qui se fient à l'existence des vitesses annoncées pour s'assurer que le SAP répond à leurs exigences. L'ACFI a également fait valoir que, quoique le tarif SAP mentionne les contraintes opérationnelles causées par les caractéristiques de la ligne locale sous-jacente, ces contraintes ne sont pas liées à l'utilisation de la technologie de lissage du trafic afin de réduire la vitesse et le rendement énoncés dans le tarif SAP.

15.

Bell Canada a fait remarquer qu'elle se conformait au tarif SAP et que, par conséquent, elle ne contrevenait pas à l'article 24 et au paragraphe 25(1) de la Loi. Bell Canada a indiqué que son tarif SAP précise les vitesses maximales en amont et en aval qu'elle offre dans la mesure du possible, mais qu'elle ne peut garantir en tout temps.

16.

Bell Canada a précisé qu'elle était autorisée à utiliser des moyens techniques comme le lissage du trafic afin de garantir l'usage juste et proportionné de son réseau, comme l'indiquent les Modalités de service approuvées par le Conseil s'appliquant à l'ensemble des tarifs et les ententes avec les FSI qui utilisent le SAP. À cet égard, Bell Canada a fait valoir que tous les tarifs sont assujettis aux conditions précisées au paragraphe 8.3 de l'article 10 (Modalités de service) de son Tarif général, qui précise ceci :
 

Il est interdit aux abonnés d'utiliser les services de Bell Canada ou de permettre qu'ils soient utilisés de manière à empêcher autrui d'en faire un usage juste et proportionné. Bell Canada peut, à cette fin, limiter l'utilisation de ses services, au besoin.

17.

Bell Canada a fait valoir qu'elle avait constaté qu'un certain nombre de liaisons de son réseau étaient congestionnées, et que ce nombre augmentait pendant les périodes de pointe. Bell Canada a soutenu qu'elle utilisait une pratique courante au sein de l'industrie qui consiste à mesurer la congestion en fonction du degré d'utilisation des liaisons du réseau. Bell Canada a établi des degrés d'utilisation des liaisons pour différentes vitesses de transmission de liaisons auxquelles le temps d'attente et les paquets perdus augmentent de façon importante, ce qui a une incidence négative sur les utilisateurs finals, comme le ralentissement du trafic et l'incapacité de recevoir le contenu.

18.

Bell Canada a fait valoir que la congestion pouvait avoir une incidence négative sur la qualité du service offert aux utilisateurs finals même quand la proportion de liaisons congestionnées était relativement faible. Bell Canada a indiqué qu'elle ne permettait pas la congestion généralisée de son réseau et qu'elle avait mis en ouvre des mesures de lissage du trafic afin d'éviter qu'une telle congestion ne se produise.

19.

Bell Canada a ajouté qu'une faible part d'utilisateurs finals de son service de détail générait un trafic disproportionné sur le réseau, et qu'une part importante de ce trafic découlait de l'utilisation des applications de partage de fichiers poste à poste. Selon Bell Canada, cette utilisation nuisait aux résultats obtenus par d'autres internautes en contribuant à la congestion du réseau.

20.

Bell Canada a également précisé que les applications de partage de fichiers poste à poste sont susceptibles de congestionner son réseau pour plusieurs raisons :
 
  • ces applications sont conçues pour ouvrir de nombreuses sessions simultanément afin de transférer les données le plus rapidement possible, écrasant ainsi le reste du trafic;
 
  • lorsqu'un téléchargement est en cours, l'utilisateur final qui télécharge les données répond à de nombreuses demandes de téléversement en provenance d'autres utilisateurs, maximisant ainsi l'utilisation de la bande passante en amont;
 
  • la mise en file d'attente des demandes peut assurer un trafic maximal continu en tout temps, maximisant ainsi l'utilisation de la bande passante en aval;
 
  • comme certaines applications de partage de fichiers poste à poste recherchent le noud le plus rapide, tout accroissement de la capacité d'un noud du réseau attirera les demandes de téléversement de la part des applications de partage de fichiers poste à poste sur d'autres réseaux; ainsi, l'accroissement de la capacité sera utilisé par les applications de partage de fichiers poste à poste.

21.

Finalement, Bell Canada a fait valoir qu'à l'heure actuelle, sa pratique de lissage du trafic constitue la seule option pratique, tant sur le plan technologique qu'économique, visant à résorber la congestion sur son réseau de ligne d'abonné numérique (LAN).

22.

Bell Canada a soutenu qu'à la lumière de ce qui précède, le lissage du trafic généré par l'ensemble des applications de partage de fichiers poste à poste pendant les périodes de pointe est permis conformément au paragraphe 8.3 de ses Modalités de service.

23.

Rogers Communications Inc. a appuyé le point de vue de Bell Canada et a indiqué qu'avec d'autres FSI, elle pratiquait le lissage du trafic généré par les applications de partage de fichiers poste à poste. À l'appui de Bell Canada, Cisco Systems, Inc. a indiqué que, même si on augmente la bande passante du réseau, les applications de partage de fichiers poste à poste sont conçues pour utiliser toute la bande passante.

24.

En réponse, l'ACFI, appuyée par Primus Telecommunications Canada Inc. (Primus), a fait valoir qu'étant donné que Bell Canada n'avait pas prouvé la congestion de son réseau, ses arguments relatifs aux Modalités de service devraient être rejetés. L'ACFI n'était pas d'accord avec l'approche de Bell Canada pour mesurer la congestion, et elle a indiqué que cette approche était mieux adaptée à la prestation de services qu'à la vérification de l'existence de congestion. L'ACFI et Primus ont également affirmé que Bell Canada n'avait pas établi que les clients abonnés à son SAP faisaient un usage disproportionné du réseau.

25.

L'ACFI et d'autres parties ont précisé que les applications de partage de fichiers poste à poste n'utilisent pas la bande passante du réseau de façon excessive. L'ACFI a indiqué que les applications de partage de fichiers poste à poste ne demandent pas à utiliser davantage de bande passante que n'en demande la vitesse maximale du SAP, et que la part de la bande passante utilisée pour le téléchargement d'un fichier précis n'est pas plus élevée que celle utilisée pour le téléchargement d'un fichier à partir d'un seul serveur (p. ex. un fichier HTML [langage de balisage hypertexte])8.

26.

L'ACFI a également fait valoir qu'en cas d'usage abusif du réseau, on ne peut pas invoquer les Modalités de service afin de justifier le lissage du trafic généralisé et systématique sur l'ensemble du réseau. Les Modalités de service permettent à Bell Canada de limiter ou de suspendre le service offert aux clients finals qui utilisent le réseau de façon abusive, mais ne permettent pas à la compagnie d'imposer des restrictions sur l'ensemble du contenu poste à poste destiné aux clients de ses concurrents.

27.

Plusieurs parties ont avancé qu'il existe des solutions de rechange plus raisonnables à la pratique de lissage du trafic de Bell Canada, notamment :
 
  • l'augmentation de la capacité du réseau de Bell Canada et/ou l'accroissement de la bande passante attribuée à Internet;
 
  • le lissage du trafic et/ou la restriction de l'utilisation de la bande passante par les utilisateurs finals individuels;
 
  • l'application du lissage du trafic seulement pendant les périodes de congestion réelle.
 

Résultats de l'analyse du Conseil

28.

Le Conseil souligne que les Modalités de service de Bell Canada font partie de ses tarifs approuvés par le Conseil. Le Conseil précise également que le paragraphe 8.3 des Modalités de service de Bell Canada, comme l'a fait valoir Bell Canada, s'applique à l'ensemble de ses services tarifés, y compris le SAP. Par conséquent, le Conseil estime que, même si les modalités propres au SAP ne prévoient pas le lissage du trafic, l'utilisation du SAP est assujettie aux restrictions énoncées au paragraphe 8.3 des Modalités de service de Bell Canada.

29.

Selon le Conseil, l'ACFI n'a pas démontré que les méthodes utilisées par Bell Canada afin d'évaluer la congestion du réseau ne sont pas convenables. Le Conseil précise qu'il incombe à Bell Canada, à titre d'exploitant de réseau, de garantir l'exploitation efficace et efficiente de son réseau, et il estime que Bell Canada devrait pouvoir prendre des mesures à cet égard. En outre, le Conseil est convaincu que Bell Canada a établi que son réseau est congestionné pendant les périodes de pointe.

30.

Le Conseil note l'observation de Bell Canada selon laquelle les applications de partage de fichiers poste à poste sont conçues pour tirer le maximum de la bande passante en amont et en aval et pour utiliser la capacité supplémentaire du réseau au fur et à mesure que cette capacité devienne accessible. Le Conseil estime que l'usage intensif de telles applications pourrait, pendant les périodes de pointe sur Internet, entraîner la congestion du réseau et réduire le rendement des services Internet offerts aux autres utilisateurs finals.

31.

Le Conseil fait remarquer la conclusion de Bell Canada, à savoir qu'une faible part d'utilisateurs finals de ses services Internet de détail générait un trafic disproportionné sur Internet, et qu'un pourcentage important de ce trafic découlait de l'utilisation des applications de partage de fichiers poste à poste. Le Conseil estime qu'il est raisonnable de croire que les utilisateurs finals du SAP génèreraient du trafic d'une manière semblable. Le Conseil indique également que l'usage de toute liaison, et toute congestion connexe, serait évalué en fonction du regroupement du trafic généré par les utilisateurs finals des services de détail et de gros qui utilisent la liaison en question, la part de trafic généré par chaque utilisateur final représentant la contribution de ce dernier à la congestion.

32.

Le Conseil estime que, dans le cadre de la présente instance, Bell Canada a établi que l'usage des applications de partage de fichiers poste à poste par les utilisateurs finals des clients abonnés au SAP pendant les périodes de pointe contribuerait à la congestion du réseau de Bell Canada. Par conséquent, toujours dans le cadre de l'instance, Bell Canada a établi que certaines mesures sont nécessaires afin d'empêcher ses clients d'utiliser, ou de permettre d'utiliser, des applications de partage de fichiers poste à poste en vue de faire obstacle à un usage juste et proportionné de son réseau par d'autres utilisateurs.

33.

Le Conseil fait remarquer l'observation de Bell Canada selon laquelle à l'heure actuelle, l'approche adoptée en matière de lissage du trafic constitue la seule option pratique, tant sur le plan technologique qu'économique, visant à résorber la congestion sur son réseau LAN. Le Conseil indique également que, quoique l'ACFI et d'autres parties aient suggéré l'adoption d'approches de rechange en matière de gestion du trafic par Bell Canada, aucun élément au dossier ne permet de prouver l'existence, la faisabilité et l'utilité de telles solutions de rechange.

34.

À la lumière de ce qui précède et selon le dossier de la présente instance, le Conseil estime que l'application par Bell Canada de mesures de lissage du trafic à son SAP est permise conformément au paragraphe 8.3 de ses Modalités de service. Par conséquent, dans les circonstances, le Conseil conclut que l'application par Bell Canada de mesures de lissage du trafic au SAP ne contrevient pas au tarif SAP, en vertu de l'article 24 et du paragraphe 25(1) de la Loi.
 

II. Les pratiques de Bell Canada en matière de lissage du trafic relatives au SAP contreviennent-elles au paragraphe 27(2) de la Loi?

35.

L'ACFI, appuyée par le Centre pour la défense de l'intérêt public (PIAC), la Clinique d'intérêt public et de politique d'internet du Canada (CIPPIC), Acanac Inc. (Acanac) et Google Inc., a fait valoir que les mesures de lissage du trafic appliquées par Bell Canada aux FSI qui s'abonnent au SAP sont contraires au paragraphe 27(2) de la Loi. L'ACFI et d'autres parties ont soutenu que les mesures de lissage arbitraire du trafic généré par les applications de partage de fichiers poste à poste adoptées par Bell Canada contrevenaient à la Loi pour les raisons suivantes :
 
  • les utilisateurs d'applications poste à poste et les fournisseurs de contenu et d'applications poste à poste faisaient l'objet de discrimination injuste et de désavantage indu;
 
  • les concurrents et leurs utilisateurs finals faisaient l'objet d'un désavantage indu;
 
  • Bell Canada se conférait une préférence indue en réattribuant la bande passante à son accès Internet ultra haute vitesse et aux autres services de données et services à valeur ajoutée.

36.

L'ACFI et d'autres parties ont fait valoir que les pratiques de lissage du trafic mises en ouvre par Bell Canada - pratiques qui réduisent le rendement des applications de partage de fichiers poste à poste et qui, dans certains cas, selon l'ACFI, touchent des services comme les services de réseau privé virtuel (RPV), les services de communication vocale sur protocole Internet (VoIP) et d'autres services de communication encryptée - imposent une discrimination et un désavantage indus à la minorité d'utilisateurs qui utilisent ces applications et ces services, et empêchent ces utilisateurs de profiter des avantages présumés offerts par le lissage du trafic. En outre, les fournisseurs de contenu et d'applications ainsi que les fournisseurs de services qui comptent sur les applications de partage de fichiers poste à poste ont été victimes de la détérioration de leur capacité de distribuer leur contenu aux utilisateurs finals.

37.

L'ACFI et d'autres parties ont fait valoir que les pratiques de lissage du trafic de Bell Canada imposaient un désavantage indu aux FSI du SAP et à leurs utilisateurs finals en réduisant la vitesse et le caractère utile des services offerts aux utilisateurs finals. Les FSI du SAP étaient particulièrement désavantagés dans les marchés où ils vendaient leurs services en promettant un accès absolu à toutes les formes de transfert de données.

38.

L'ACFI a également fait valoir que Bell Canada s'accordait une préférence au sein du marché de détail en réduisant le rendement du SAP fourni aux FSI. L'ACFI a ajouté que, dans la mesure où Bell Canada réattribuait la bande passante libérée à ses autres services, comme ses services LAN « Max » améliorés, sa boutique vidéo en ligne et son service de télévision sur protocole Internet (TVIP), elle se conférait un avantage. L'ACFI a également fait valoir que Bell Canada s'était accordé une préférence en pratiquant le lissage du trafic de son SAP environ au même moment où elle a mis en ouvre sa tarification en fonction de l'usage de ses services Internet de détail, empêchant ainsi les FSI de concurrencer efficacement Bell Canada en matière de cette initiative de tarification.

39.

L'ACFI et d'autres parties ont indiqué que le lissage du trafic de Bell Canada équivalait à une discrimination injuste ou à conférer des préférences et des désavantages indus ou déraisonnables puisque les mesures adoptées par Bell Canada a) n'étaient pas motivées par une présumée congestion; b) n'étaient pas motivées par un tarif approuvé ni par un autre instrument juridiquement contraignant; c) ne constituaient pas des mesures proportionnées et adaptées. De plus, les pratiques de Bell Canada étaient utilisées pour accroître son avantage concurrentiel en réduisant la capacité de ses concurrents à distinguer leurs services et en libérant ou réservant une partie de la bande passante pour son contenu et ses services améliorés.

40.

Bell Canada, appuyée par la Société TELUS Communications, a fait valoir qu'étant donné qu'elle appliquait des mesures de lissage du trafic équivalentes tant aux abonnés au SAP qu'aux abonnés au service de détail, il n'existait ni discrimination ni préférence. Bell Canada a affirmé que ces mesures étaient conformes aux conclusions énoncées dans la décision de télécom 2006-77, dans laquelle le Conseil a estimé qu'il faut que chaque câblodistributeur puisse intervenir face aux conséquences négatives que pourrait engendrer un trop grand usage de la bande passante par les utilisateurs finals, et ce, de façon à ne pas dégrader la qualité du service pour tous les utilisateurs finals. Le Conseil a également conclu qu'il faut traiter de la même façon les services d'accès à large bande de détail offerts par les câblodistributeurs et les services d'accès Internet de tiers offerts aux FSI.

41.

Bell Canada a fait valoir que la mise en ouvre du lissage du trafic n'a pas réduit la concurrence de manière importante. Bell Canada a versé des renseignements au dossier visant à démontrer que le nombre total d'utilisateurs finals du SAP a continué de croître chaque mois, et ce, aussi bien avant qu'après la mise en oeuvre du lissage du trafic.

42.

Bell Canada a souligné qu'elle n'avait pas mis en ouvre le lissage du trafic afin de s'accorder une préférence au sein du marché de détail au moment où elle a lancé sa facturation en fonction de l'usage, son service TVIP, son service LAN « Max » et la Boutique vidéo Bell. Bell Canada a précisé qu'elle n'avait pas procédé au lancement commercial de son service TVIP. En réponse aux questions de la CIPPIC, Bell Canada a fait valoir qu'à l'instar des autres utilisateurs, les utilisateurs du service LAN haute vitesse étaient touchés par la restriction du trafic. Bell Canada a affirmé que les allégations selon lesquelles elle aurait eu une intention cachée en lançant la Boutique vidéo Bell présumaient sa position dominante sur le marché de la distribution du contenu en ligne, ce qui n'est pas le cas. Bell Canada a également soutenu qu'elle avait lancé la facturation en fonction de l'usage un an avant la mise en oeuvre des mesures de lissage du trafic.
 

Résultats de l'analyse du Conseil

43.

Tel qu'il est indiqué plus haut, le Conseil estime, en se fondant sur le dossier de l'instance, que Bell Canada a établi le besoin de mettre en oeuvre le lissage du trafic généré par les FSI du SAP pendant les périodes de pointe et que les applications de partage de fichiers poste à poste peuvent faire un usage disproportionné du réseau. En outre, le Conseil note l'observation de Bell Canada, à savoir qu'à l'heure actuelle, l'approche adoptée en matière de lissage du trafic constitue la seule option pratique, tant sur le plan technologique qu'économique, visant à résorber la congestion de son réseau LAN, et que, comme il est précisé plus haut, aucun élément au dossier ne permet de prouver l'existence, la faisabilité et l'utilité de solutions de rechange.

44.

Le Conseil indique que Bell Canada applique ses mesures de lissage du trafic de manière à traiter équitablement les utilisateurs finals du service Internet de détail et les utilisateurs finals des FSI du SAP.

45.

Selon le dossier de la présente instance, il n'y a pas lieu de conclure que la mise en oeuvre par Bell Canada de mesures de lissage du trafic du SAP visait, comme le prétend l'ACFI, à réserver une partie suffisante de la bande passante à ses propres services ni à empêcher les FSI de concurrencer efficacement la facturation en fonction de l'usage des services de détail mise en place par Bell Canada. En outre, le Conseil estime qu'il n'existe aucune preuve au dossier selon laquelle Bell Canada aurait profité de la mise en ouvre des mesures de lissage du trafic en ce qui a trait au SAP, tel que l'ACFI a prétendu.

46.

Le Conseil souligne que Bell Canada a fourni des données sur la croissance du SAP, selon lesquelles aucun changement important au taux de croissance n'est survenu à la suite de la mise en oeuvre des mesures de lissage du trafic du SAP. Le Conseil précise également que les éléments de preuve consignés au dossier ne permettent pas de conclure, ni même de supposer, que la concurrence a chuté à la suite de la mise en oeuvre par Bell Canada des mesures de lissage du trafic.

47.

À la lumière de ce qui précède, le Conseil conclut que, compte tenu des circonstances entourant la présente instance, les pratiques de lissage du trafic de Bell Canada touchant le SAP ne contreviennent pas au paragraphe 27(2) de la Loi.
 

III. La mise en oeuvre par Bell Canada de pratiques de lissage du trafic relatives au SAP, sans l'approbation préalable du Conseil, contrevient-elle à l'article 36 de la Loi?

48.

L'ACFI, appuyée par le PIAC, la CIPPIC, Acanac et d'autres parties, a fait valoir que les pratiques de lissage du trafic de Bell Canada visent à régir le contenu et à influencer le sens ou l'objet des télécommunications, ce qui contrevient à l'article 36 de la Loi.

49.

L'ACFI a soutenu que Bell Canada dénaturait le sens du contenu en réduisant le débit de transfert des applications poste à poste jusqu'à 90 %. La CIPPIC a fait valoir que le ralentissement de certains transferts, comme les émissions de nouvelles, influence le sens ou l'objet des télécommunications.

50.

L'ACFI et d'autres parties ont fait valoir que l'application sélective du lissage du trafic généré par les applications poste à poste n'est pas neutre sur le plan du contenu et que cette pratique contrevient à l'article 36 de la Loi et au principe de transport sur une base commune. L'ACFI a soutenu que Bell Canada exerçait un contrôle en accordant une faible priorité à certains types de contenu et en isolant ce contenu jusqu'à sa publication de la manière établie par elle-même.

51.

Bell Canada a répondu que ses pratiques de lissage du trafic qui ralentissent l'acheminement du contenu ne constituent pas une forme de régie du contenu. Bell Canada a fait valoir qu'elle ne s'adonne pas au contrôle éditorial du contenu transféré au moyen d'applications de partage de fichiers poste à poste ni à la création de contenu, ni ne fait obstacle à l'accès au contenu.

52.

Bell Canada a également soutenu qu'étant donné qu'elle n'en connaît pas le contenu, elle n'influence pas le sens ou l'objet des communications entre les applications de partage de fichiers poste à poste. Bell Canada a ajouté qu'étant donné que les applications de partage de fichiers poste à poste faisant l'objet du lissage du trafic ne sont pas dépendantes du temps, tout retard relatif à l'acheminement du contenu ne modifie ni ne touche « le sens ou l'objet » des télécommunications.

53.

La CIPPIC ne comprenait pas comment Bell Canada pouvait garantir au Conseil que le sens et l'objet du contenu demeurent intacts lorsqu'elle ralentit le débit de transfert des applications poste à poste dont elle ne connaît pas la nature du contenu.
 

Résultats de l'analyse du Conseil

54.

Le Conseil note l'observation de l'ACFI à savoir que le lissage du trafic peut réduire considérablement le débit du transfert de données. La preuve qui a été présentée au Conseil révèle que le contenu des télécommunications qui font l'objet du lissage du trafic, en l'espèce, arrive intact à destination, quoique plus lentement qu'en l'absence de lissage du trafic.

55.

Le Conseil précise que selon le dossier de l'instance, les pratiques de lissage du trafic mises en ouvre par Bell Canada ne comprennent pas de contrôle éditorial du contenu des télécommunications et n'empêchent aucune télécommunication.

56.

Finalement, le Conseil souligne que Bell Canada applique le lissage du trafic uniquement aux applications de partage de fichiers, qui mettent un certain temps à réaliser l'acheminement avant que l'utilisateur final ait accès au contenu, même en l'absence de lissage du trafic.

57.

Par conséquent, le Conseil est d'avis que, quoique les pratiques de lissage du trafic mises en ouvre par Bell Canada dans le cas des télécommunications provenant d'applications de partage de fichiers poste à poste permettent de contrôler la vitesse des télécommunications, elles ne permettent pas d'en régir le contenu.

58.

De même, dans le cas qui nous occupe, le Conseil estime que le lissage du trafic qu'exerce Bell Canada n'influence ni le sens ni l'objet des télécommunications. Le Conseil estime que, dans le cas des applications de partage de fichiers poste à poste, la réduction de la vitesse de transmission ne modifie ni le sens ni l'objet des fichiers transférés.

59.

À la lumière de ce qui précède, le Conseil estime que, dans le cas qui nous occupe, le lissage du trafic qu'exerce Bell Canada n'est pas visé par l'article 36 de la Loi.
 

IV. Les pratiques de Bell Canada en matière de lissage du trafic relatives au SAP contreviennent-elles aux règles du Conseil sur la protection de la vie privée?

60.

L'ACFI a fait valoir que la technologie IAP utilisée par Bell Canada afin de mettre en oeuvre ses mesures de lissage du trafic pourrait être utilisée pour accéder aux renseignements personnels des utilisateurs finals et en faire la cueillette à l'insu de ces derniers, sans avoir obtenu préalablement leur autorisation. En examinant l'en-tête et le contenu des paquets, Bell Canada pourrait connaître le type de données transférées, le réseau du FSI utilisé et l'intention d'un utilisateur final de télécharger certains types de contenus, ce qui, aux termes de la législation canadienne en matière de protection de la vie privée, représente des renseignements personnels. L'ACFI, le PIAC et la CIPPIC ont soutenu que les activités de Bell Canada vont à l'encontre du libellé et de l'esprit de l'objectif de la politique canadienne de télécommunications énoncé à l'alinéa 7i) de la Loi et contreviennent aux articles 4.3 et 4.8 de l'annexe 1 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE).

61.

La CIPPIC a indiqué qu'elle avait présenté au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (le Commissariat) des documents au sujet de la violation par Bell Canada de plusieurs principes de la LPRPDE en raison de la mise en oeuvre de la technologie IAP aux fins de lissage du trafic. La CIPPIC a fait valoir que le Conseil devrait entreprendre une enquête complète relative aux enjeux en matière de protection de la vie privée liés à l'utilisation actuelle et à venir de l'IAP, et qu'il devrait collaborer avec le Commissariat afin de garantir que l'utilisation de la technologie IAP, si elle est permise, soit transparente et sécuritaire au chapitre de la protection de la vie privée de la population canadienne.

62.

Bell Canada a affirmé que les questions relatives à la protection de la vie privée des utilisateurs finals individuels ne sont pas pertinentes en l'espèce. Bell Canada a fait remarquer que l'alinéa 7i) de la Loi représente un objectif de réglementation qui peut permettre de clarifier l'objectif de la loi et qu'il est pertinent au chapitre de la prise de décisions, mais qu'il ne représente pas une disposition conférant des pouvoirs.

63.

Bell Canada a indiqué qu'elle respecte ses obligations en matière de protection de la vie privée et qu'elle n'adopte pas le comportement allégué par l'ACFI et remis en question par la CIPPIC.

64.

Bell Canada a expliqué que sa technologie IAP permet d'examiner l'en-tête des paquets et non le contenu des communications. Bell Canada a également soutenu que ses appareils IAP ne conservent pas les renseignements examinés sur l'en-tête des paquets et que le contenu proprement dit n'est jamais examiné, analysé ou conservé dans le cadre des mesures de lissage du trafic de l'entreprise. Bell Canada, ainsi que tout autre tiers ou vendeur faisant affaires avec elle, n'a pas accès aux renseignements personnels des utilisateurs individuels comme le nom, l'adresse IP, le compte ou la région. Par conséquent, contrairement à ce qu'ont laissé entendre certaines parties, Bell Canada ne divulgue pas ces renseignements sur les utilisateurs à des tiers, pour quelque raison que ce soit.
 

Résultats de l'analyse du Conseil

65.

Le Conseil fait remarquer les documents présentés par la CIPPIC au Commissariat portant sur l'allégation selon laquelle Bell Canada contrevenait à plusieurs principes de la LPRPDE en raison de la mise en oeuvre de sa technologie IAP aux fins de lissage du trafic. Le Conseil estime que les questions relatives à la conformité à la LPRPDE débordent la portée de la présente instance et qu'elles ne seront donc pas examinées dans le cadre de la présente décision.

66.

Le Conseil précise qu'en vertu de l'alinéa 7i) de la Loi, la politique canadienne de télécommunication vise à « contribuer à la protection de la vie privée des personnes » et que cet objectif proprement dit n'impose pas une obligation exécutoire à Bell Canada. Le Conseil indique que Bell Canada, aux termes de ses Modalités de service, n'a pas le droit de divulguer les renseignements confidentiels d'un client, sauf dans certains cas. Le Conseil souligne que la technologie IAP mise en oeuvre par Bell Canada permet d'examiner l'en-tête des paquets, qui comprend les adresses IP d'origine et de destination, afin de réaliser le lissage du trafic. Il n'existe aucune allégation de la part des parties ni aucune preuve dans le dossier de la présente instance selon lesquelles les renseignements des en-têtes sont recueillis ou divulgués par Bell Canada ou utilisés par Bell Canada à d'autres fins que le lissage du trafic. Aucune partie n'a allégué que Bell Canada a recueilli, conservé ou divulgué des renseignements sur les clients dans le cadre de l'application continue des mesures de lissage du trafic.

67.

À la lumière de ce qui précède, le Conseil conclut que, selon les éléments de preuve déposés au dossier de l'instance, les pratiques de lissage du trafic de Bell Canada ne contreviennent à aucune règle du Conseil en vigueur en matière de protection de la vie privée.
 

V. Bell Canada a-t-elle violé une ordonnance du Conseil l'enjoignant à donner un préavis si des modifications sont apportées aux réseaux?

68.

L'ACFI a fait valoir que Bell Canada a violé une ordonnance du Conseil figurant dans la décision de télécom 97-8, qui ordonnait aux entreprises de services locaux de donner un préavis relatif à toute modification apportée au réseau et de permettre d'effectuer des essais techniques sur les modifications projetées, conformément à la lettre-décision de télécom 94-11. L'ACFI a soutenu que l'exigence relative au préavis devrait s'appliquer aux modifications apportées au SAP, y compris à la mise en oeuvre du lissage du trafic. À cet égard, Bell Canada n'a pas donné de préavis concernant les modifications apportées au réseau et n'a pas invité les FSI du SAP à effectuer des essais techniques relativement à ces modifications.

69.

Bell Canada a précisé que l'exigence relative au préavis citée par l'ACFI ne s'appliquait pas aux mesures de lissage du trafic qu'elle avait mises en ouvre concernant le SAP pour les raisons suivantes :
 
  • Le préavis de modification cité dans la lettre-décision de télécom 94-11 s'applique aux services goulots, qui constituent des services essentiels. Puisque le SAP a été déclaré service non essentiel prescrit et conditionnel dans la décision de télécom 2008-17, l'exigence relative au préavis de modification ne s'applique pas;
 
  • Les FSI du SAP n'étaient pas tenus d'apporter des modifications à leurs réseaux à la suite de la mise en oeuvre des mesures de lissage du trafic. Le lissage du trafic n'exigeait pas de modification aux interfaces de réseau à réseau, soit le type de modification exigeant un préavis visé par la décision de télécom 97-8. Le lissage du trafic constitue une activité de gestion de la capacité et de gestion du réseau faisant partie de l'exploitation du réseau, et Bell Canada n'est pas tenue d'aviser les autres entreprises conformément à la lettre-décision de télécom 94-11 et à la décision de télécom 97-8.

70.

Bell Canada a précisé qu'elle fournirait désormais un préavis d'une journée.

71.

L'ACFI a expliqué qu'étant donné que le SAP est un service local pour lequel il n'existe aucune solution de rechange réalisable sur le plan économique, il constitue un service goulot aux fins de l'application des politiques du Conseil en matière de préavis de modification au réseau. En outre, le lissage du trafic du SAP constitue une modification au réseau puisque Bell Canada a dû transformer son réseau, notamment par l'installation de dispositifs IAP, la modification de chemins logiques, l'installation de nouveaux appareils et la reprogrammation. Ainsi, dans ce cas, il convient d'appliquer les règles relatives aux préavis de modification.

72.

L'ACFI a ajouté que la mise en oeuvre du lissage du trafic effectuée par Bell Canada représente une modification qui a entraîné des perturbations chez les utilisateurs finals concernés. Bell Canada n'avait fourni aux membres de l'ACFI aucun renseignement technique relatif aux mesures de lissage du trafic. L'ACFI a indiqué que la transparence et la distribution de préavis permettraient aux parties de comprendre la nécessité de telles mesures et d'éviter les disputes grâce à l'échange de renseignements.
 

Résultats de l'analyse du Conseil

73.

Le Conseil estime qu'étant donné que la mise en oeuvre des mesures de lissage du trafic de Bell Canada n'a pas obligé les FSI à apporter des modifications à leurs réseaux, Bell Canada n'a pas violé l'exigence relative au préavis conformément à la lettre-décision de télécom 94-11 et à la décision de télécom 97-8.

74.

Toutefois, le Conseil souligne que les activités de Bell Canada ont eu une incidence importante sur le rendement de son SAP, quoiqu'elles n'aient touché qu'une seule application, et que Bell Canada n'avait fourni aucun préavis aux clients abonnés à son SAP. Par conséquent, les FSI du SAP ont reçu des plaintes de la part des utilisateurs finals et ne détenaient pas les renseignements nécessaires pour répondre de manière convenable. Le Conseil estime que la nature des modifications découlant de la mise en ouvre des pratiques de lissage du trafic devrait obliger Bell Canada à fournir un préavis aux clients abonnés à son SAP. En conséquence, le Conseil ordonne à Bell Canada d'élaborer et de lui présenter des exigences de préavis proposées visant à répondre aux modifications possibles qui ont une incidence matérielle sur le rendement du SAP, et ce, au plus tard le 9 janvier 2009. Le Conseil estime que les clients devraient profiter d'un préavis d'au moins 30 jours. Le Conseil estime également que le préavis de modification devrait au moins fournir des renseignements clairs et pertinents décrivant la nature des modifications, le trafic susceptible d'être touché, les modalités et la durée.
 

Traitement de la demande de l'ACFI

75.

À la lumière de tout ce qui précède, le Conseil rejette la demande de l'ACFI.
 

Autres questions

 

a) Règlement des plaintes

76.

L'ACFI et d'autres parties ont fait valoir que dans certains cas, les mesures de lissage du trafic de Bell Canada touchent des applications autres que les applications de partage de fichiers poste à poste, y compris les services RPV, les services VoIP et d'autres services de communication encryptée.

77.

Bell Canada a soutenu qu'elle traitait toutes les plaintes reçues.

78.

Le Conseil s'attend à ce que Bell Canada règle rapidement les plaintes. Par conséquent, le Conseil ordonne à Bell Canada de déposer un rapport sur le règlement des plaintes relatives aux applications autres que les applications de partage de fichiers poste à poste touchées, et ce, au plus tard le 9 janvier 2009.
 

b) Procédure supplémentaire

79.

Les conclusions du Conseil dans la présente décision touchent uniquement les pratiques de lissage du trafic de Bell Canada relatives à son SAP de gros et reposent sur la preuve produite dans l'instance. Le Conseil fait remarquer que les parties à l'instance ont soulevé des préoccupations concernant des pratiques existantes et émergeantes de gestion du trafic Internet qui débordent la portée de la présente instance.

80.

Étant donné l'importance de ces préoccupations, le Conseil amorce, par l'intermédiaire d'un avis public publié aujourd'hui, une instance visant à examiner les pratiques actuelles et éventuelles de gestion du trafic Internet mises en ouvre par les FSI touchant les services de détail et de gros. Le Conseil examinera si ces pratiques sont conformes à la Loi et si des mesures sont nécessaires en vue de garantir la conformité. Le processus de cette instance supplémentaire, qui comprendra une audience publique avec comparution, est décrit dans l'avis public de télécom 2008-19.
  Secrétaire général
 

Documents connexes

 
  • Examen des pratiques de gestion du trafic Internet des fournisseurs de services Internet, Avis public de télécom CRTC 2008-19, 20 novembre 2008
 
  • Demande présentée par l'Association canadienne des fournisseurs Internet en vue d'obtenir du Conseil un redressement provisoire à l'égard de la pratique de Bell Canada de restreindre ses services d'accès LNPA de gros, Décision de télécom CRTC 2008-39, 14 mai 2008
 
  • Cadre de réglementation révisé concernant les services de gros et la définition de service essentiel, Décision de télécom CRTC 2008-17, 3 mars 2008
 
  • Cogeco, Rogers, Shaw et Vidéotron - Tarifs du service d'accès Internet de tiers, Décision de télécom CRTC 2006-77, 21 décembre 2006
 
  • Bell Canada - Service d'accès par passerelle, Ordonnance de télécom CRTC 2006-258, 4 octobre 2006
 
  • Concurrence locale, Décision Télécom CRTC 97-8, 1er mai 1997
 
  • Lettre-décision Télécom CRTC 94-11, 4 novembre 1994
  Ce document est disponible, sur demande, en média substitut, et peut également être consulté en version PDF ou en HTML sur le site Internet suivant : http://www.crtc.gc.ca
  Notes de bas de page :

1  Dans sa demande, l'ACFI mentionne également les mesures de lissage, de restriction et d'étranglement du trafic Internet mises en ouvre par Bell Canada. Dans la présente décision, le terme « lissage du trafic » englobe l'ensemble de ces différents termes.

2 Tarif général de Bell Canada, article 5410, Service d'accès par passerelle

3 Les applications de partage de fichiers poste à poste utilisent les réseaux de systèmes homologues, au sein desquels de nombreux nouds (p. ex. les ordinateurs des utilisateurs finals) se connectent pour former un réseau, en vue de distribuer des fichiers au moyen d'Internet. Contrairement au modèle de distribution par réseau classique, où de nombreux utilisateurs finals téléchargent du contenu à partir d'un serveur central, les applications poste à poste permettent aux utilisateurs finals de télécharger simultanément un seul fichier à partir de nombreux utilisateurs finals, offrant ainsi la possibilité d'accroître la vitesse de téléchargement.

4 Article 24 : L'offre et la fourniture des services de télécommunication par l'entreprise canadienne sont assujetties aux conditions fixées par le Conseil ou contenues dans une tarification approuvée par celui-ci.

5 Article 36 : Il est interdit à l'entreprise canadienne, sauf avec l'approbation du Conseil, de régir le contenu ou d'influencer le sens ou l'objet des télécommunications qu'elle achemine pour le public.

6 Paragraphe 25(1) : L'entreprise canadienne doit fournir les services de télécommunication en conformité avec la tarification déposée auprès du Conseil et approuvée par celui-ci fixant - notamment sous forme de maximum, de minimum ou des deux - les tarifs à imposer ou à percevoir.

7 Paragraphe 27(2) : Il est interdit à l'entreprise canadienne, en ce qui concerne soit la fourniture de services de télécommunication, soit l'imposition ou la perception des tarifs y afférents, d'établir une discrimination injuste, ou d'accorder - y compris envers elle‑même - une préférence indue ou déraisonnable, ou encore de faire subir un désavantage de même nature.

8 Le format HTML est le principal format utilisé pour créer les documents Web. Un fichier HTML est composé de texte accompagné d'instructions en HTML indiquant au navigateur Web la façon d'afficher une page précise. Le langage de balisage indique notamment si le texte doit être affiché sous forme de paragraphe, de titre, de liste, de lien, etc.

 

Annexe

 

Liste des parties

  Acanac Inc.
  Advancing Democracy & Media Sanity in Canada
  Association canadienne de la technologie de l'information
  Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique
  Bureau de la publicité interactive du Canada
  Canadian Advanced Technology Alliance
  Canadian Association of Voice Over IP Providers
  Centre pour la défense de l'intérêt public
  Cisco Systems, Inc.
  Clinique d'intérêt public et de politique d'internet du Canada (au nom de la Campaign for Democratic Media)
  Coalition of Internet Service Providers Inc.
  Daniel Matan
  Distributel Communications Limited
  Google Inc.
  Kaboose Inc.
  Per Vices Corporation
  Primus Telecommunications Canada Inc.
  Rogers Communications Inc.
  Skype Communications S.à.r.l.
  Société TELUS Communications
  TCPub Média Inc.
  TekSavvy Solutions Inc.
  Union des consommateurs
  University of Western Ontario
  Vaxination Informatique
  Wireless Nomad
  Plus de 1 300 personnes ont formulé des observations.

Mise à jour : 2008-11-20

Date de modification :