Décision de radiodiffusion CRTC 2019-109 et Ordonnance de radiodiffusion CRTC 2019-110

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Référence : 2019-106

Ottawa, le 18 avril 2019

Groupe TVA inc.
Diverses localités

Dossier public de la présente instance : 2019-NOC2019-0106
Audience publique dans la région de la Capitale nationale
17 avril 2019

Groupe TVA inc. – Non-conformité

Le Conseil conclut que Groupe TVA inc. (Groupe TVA) a contrevenu à l’article 15(1) du Règlement sur les services facultatifs (le Règlement) en retenant le signal de TVA Sports de la distribution par Bell Canada (Bell) de manière à empêcher Bell de fournir TVA Sports aux Canadiens pendant un différend.
Conformément à l’article 12(2) de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi), le Conseil impose une ordonnance exigeant que Groupe TVA continue de fournir son service de programmation, TVA Sports, à Bell jusqu’à ce que le présent différend soit réglé et qu’il se conforme en tout temps à l’article 15(1) du Règlement.

Conformément aux articles 9 et 24 de la Loi, le Conseil suspend la licence de radiodiffusion de TVA Sports. Cependant, la suspension entrera en vigueur seulement si le signal de TVA Sports est retenu des entreprises de distribution de Bell avant que le différend soit réglé.

Introduction

  1. Le 7 avril 2019, le Conseil a reçu une lettre de la part de Bell Canada (Bell) qui affirmait que pendant la dernière partie de hockey de la saison régulière des Canadiens de Montréal, le signal de TVA Sports contenait des bannières défilantes mentionnant que le signal de TVA Sports serait suspendu dans les prochains jours. Bell a ajouté que retenir le signal contreviendrait à la règle du statu quo énoncée à l’article 15(1) du Règlement sur les services facultatifs (le Règlement) et a demandé que le Conseil avise Groupe TVA inc. (Groupe TVA), la titulaire de TVA Sports, que la règle du statu quo s’applique étant donné que Bell et Groupe TVA sont impliqués dans un différend au sujet de certains services facultatifs de Groupe TVA, y compris en ce qui a trait à l’assemblage de TVA Sports au Québec.
  2. Le 8 avril 2019, le personnel du Conseil a publié une lettre exprimant son avis selon lequel les parties sont engagées dans un différend et que la règle du statu quo s’applique.
  3. Le 8 avril 2019, le Conseil a reçu une autre lettre de la part de Bell qui demandait que le Conseil impose une ordonnance interdisant à Groupe TVA de retirer ses services autorisés de toute entreprise de distribution de Bell, compte tenu que Québecor Média inc. (Québecor), l’actionnaire majoritaire de Groupe TVA, avait indiqué qu’il n’avait pas l’intention de se conformer à la règle du statu quo. Le 9 avril 2019, Bell a soumis de preuves de ces intentions.
  4. Le 10 avril 2019, le Conseil a envoyé une lettre de décision aux parties. Dans celle-ci, le Conseil a déterminé que Bell et Québecor sont engagés dans un différend en ce qui concerne la fourniture ou les modalités de fourniture et que la règle du statu quo s’applique. Ainsi, Bell et Québecor sont tenus de fournir leurs services de programmation respectifs à l’autre partie et sont tenus de distribuer ces services, aux mêmes tarifs et selon les mêmes modalités qui s’appliquaient avant le différend, jusqu’à ce que les parties règlent leur différend ou que le Conseil rende une décision à propos de cette question non réglée. Le Conseil a déclaré que le fait de retirer les signaux ou d’interférer de quelque façon que ce soit avec ceux-ci, par l’une ou l’autre des parties, de manière à empêcher les Canadiens de profiter de la programmation équivaudrait à modifier les modalités d’acheminement.
  5. Malgré cette détermination et malgré le fait que le Conseil ait indiqué qu’il était prêt à utiliser les moyens à sa disposition pour appliquer sa réglementation, Groupe TVA semblait avoir retenu le signal de TVA Sports ou interféré avec celui-ci de manière à empêcher les abonnés de Bell de visionner le service entre le 10 et le 12 avril 2019.
  6. Compte tenu de la gravité de cette question, dans l’avis de consultation de radiodiffusion 2019-106, le Conseil a convoqué Groupe TVA à une audience publique tenue le 17 avril 2019 dans la région de la Capitale nationale afin de déterminer si Groupe TVA contrevenait ou avait contrevenu à l’article 15(1) du Règlement en retirant le signal de TVA Sports de la distribution par Bell, ou en interférant avec le signal de manière à empêcher les consommateurs canadiens de visionner le service.

Analyse et décisions du Conseil

Compétence du Conseil

  1. À l’audience, Groupe TVA a argumenté que les articles 14(2) et 15 du Règlement ainsi que certaines prescriptions du bulletin d’information de radiodiffusion et de télécommunications 2013-637 (le bulletin d’information) sont hors de la compétence du Conseil. Selon Groupe TVA, en forçant le maintien de la relation contractuelle entre les parties pendant le processus de règlement des différends, le Conseil détermine les modalités des ententes d’affiliation, ce qui, soumet-il, n’est pas permis selon les articles 9 et 10 de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi). Groupe TVA a soumis un argumentaire juridique avec des documents à l’appui, qui ont été ajoutés au dossier public de l’instance.
  2. Bell a indiqué qu’il ne désirait pas déposer des commentaires écrits sur cette question étant donné qu’il estime que la compétence du Conseil est évidente. Bell a affirmé que la façon appropriée de remettre en cause la compétence du Conseil à l’égard du statu quo tel que confirmé dans la lettre du personnel du 8 avril 2019 et la lettre de décision du 10 avril 2019 aurait été de faire appel de ces directives devant la Cour d’appel fédérale.
  3. En vertu de l’article 5(1) de la Loi, le Conseil est chargé de réglementer et de surveiller le système de radiodiffusion canadien. Ce rôle inclut entre autres l’octroi de licences aux entreprises de programmation et de distribution et l’établissement de règlements qui régissent leur comportement.
  4. L’article 10(1)h) de la Loi permet au Conseil d’établir des règlements afin de « pourvoir au règlement – notamment par la médiation – de différends concernant la fourniture de programmation et survenant entre les entreprises de programmation qui la transmettent et les entreprises de distribution. »
  5. À cette fin, le Conseil a adopté plusieurs règlements concernant le règlement des différends, y compris la règle du statu quo prévue à l’article 15(1) du Règlement. Cet article exige que, pendant un différend entre une entreprise de distribution de radiodiffusion (EDR) et une entreprise de programmation, l’entreprise de programmation continue à fournir ses services de programmation à l’EDR aux mêmes tarifs et selon les modalités qui s’appliquaient avant le différend.
  6. Cette règle sert non seulement à établir un équilibre au cours du processus de négociation en éliminant la menace de perte de service pendant un différend, mais permet surtout de s’assurer que les abonnés sont protégés contre la perte de service. Ceci est conforme à l’objectif du Conseil de favoriser la radiodiffusion à l’intention des Canadiens, énoncé à l’article 5(2)d) de la Loi. Dans le différend en cause, cette règle sert aussi à préserver la source de programmation de langue française pour les abonnés, conformément aux objectifs énoncés à l’article 3(1)k) de la Loi. Même si la règle du statu quo pourrait avoir une incidence accessoire sur la relation commerciale entre les entreprises, il ne s’agit pas de son objectif principal.
  7. De plus, la position de Groupe TVA que le Conseil n’a pas la compétence d’établir les modalités des ententes d’affiliation est inconsistante avec le pouvoir général donné au Conseil par le Parlement de prendre des règlements afin de pourvoir au règlement de différends. Étant donné que les modalités, incluant les tarifs, sont fondamentales à la résolution de différends concernant la fourniture de programmation, l’interprétation exhortée au Conseil par Groupe TVA rendrait le pouvoir de prendre des règlements établit dans l’article 10(1)(h) de la Loi vide de tout sens, créant une absurdité qui n’aurait pu être l’intention du Parlement.  
  8. Par conséquent, le Conseil est d’avis que l’article 15 du Règlement relève de sa compétence et qu’il s’applique donc à TVA Sports comme service facultatif.
  9. Étant donné que le sujet de la présente instance est la non-conformité quant à l’article 15(1) du Règlement, le Conseil note que l’argumentaire de Groupe TVA concernant l’article 14(2) du Règlement et les règles du Bulletin d’information est hors du cadre de l’instance. Néanmoins, le Conseil est de l’avis que ses conclusions quant à sa juridiction s’appliquent également à ces éléments du cadre réglementaire.

TVA a-t-il contrevenu à la règle du statu quo?

  1. Dans le cadre de la présente instance, le Conseil doit déterminer si Groupe TVA a contrevenu à l’article 15(1) du Règlement en retenant le signal de TVA Sports de la distribution par Bell ou en interférant avec le signal de manière à empêcher Bell de fournir le service aux Canadiens pendant le différend entre les deux entreprises.
  2. En vertu de l’article 15(2) du Règlement, un différend débute lorsqu’un avis écrit en faisant état est déposé auprès du Conseil et signifié à l’autre entreprise en cause. Tel qu’énoncé dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2011-601, cet avis peut être déposé sous la forme d’une demande relative à une préférence indue, d’une demande de médiation assistée par le personnel, d’une demande d’arbitrage ou d’un simple avis au Conseil de l’existence d’un différend.
  3. Dans le cas présent, le 27 février 2019, Groupe TVA a déposé lui-même une demande relative à une préférence indue contre Bell en ce qui concerne l’assemblage de TVA Sports au Québec. De plus, les parties ont pris part à une médiation assistée par le personnel le 5 avril 2019. Finalement, les lettres de Bell datées des 7, 8 et 9 avril 2019 indiquent clairement qu’il existe un différend entre les parties.
  4. Par conséquent, tel qu’indiqué dans la lettre de décision du 10 avril 2019 et confirmé lors de l’audience, les parties sont clairement impliquées dans un différend et la règle du statu quo s’applique.
  5. Le 9 avril 2019, Québecor a informé le public par l’intermédiaire d’une publicité dans   Le Journal de Montréal qu’il retirerait le signal de TVA Sports de Bell à 19 h le 10 avril 2019. Le 10 avril, Québecor a émis un communiqué de presse mentionnant entre autres qu’il « n’avait d’autre choix que d’aller de l’avant avec le retrait du signal de TVA Sports pour les abonnés de Bell, à 19 h, ce soir ».
  6. Lors de l’audience, Groupe TVA a reconnu qu’il a retiré le signal de TVA Sports pour les abonnés de Bell à 19 h le 10 avril 2019.
  7. Bell a aussi confirmé lors de l’audience que Québecor a coupé le signal de TVA Sports à près de 425 000 abonnés de Bell et de plusieurs plus petites EDR qui dépendent de Bell pour la transmission du signal à 19 h le 10 avril 2019, ce qui a touché environ 1 million de téléspectateurs au Québec.
  8. Compte tenu de ces faits, le Conseil conclut qu’alors qu’il existait un différend entre les parties concernant la fourniture et les modalités de fourniture des entreprises de programmation, Groupe TVA n’a pas fourni son service de programmation à Bell du 10 au 12 avril 2019 aux mêmes tarifs et selon les modalités qui s’appliquaient avant le différend. Par conséquent, le Conseil conclut que Groupe TVA a contrevenu à l’article 15(1) du Règlement.

Imposition d’une ordonnance et suspension de la licence

  1. Bell a demandé que le Conseil révoque la licence de TVA Sports ou, du moins, suspende la licence jusqu’au 30 juin 2019, coïncidant avec la fin des séries éliminatoires de la LNH. Bell a aussi demandé que le Conseil émette une ordonnance afin de maintenir le signal et de l’enregistrer auprès de la Cour fédérale avant le 23 avril 2019, lorsque l’injonctionNote de bas de page 1 émise par la Cour supérieure du Québec en vue de restaurer le service expirera. Bell a exprimé des préoccupations à l’effet que Québecor retirerait encore son signal en l’absence d’une ordonnance exécutoire du Conseil.
  2. L’article 12(2) de la Loi indique que :

    Le Conseil peut, par ordonnance, soit imposer l’exécution, dans délai ou dans le délai et selon les modalités qu’il détermine, des obligations découlant de la présente partie ou des ordonnances, décisions ou règlements pris par lui ou des licences attribuées par lui en application de celle-ci, soit interdire ou faire cesser quoi que ce soit qui y contrevient ou contrevient à l’article 34.1.

  3. Le Conseil prend au sérieux les contraventions intentionnelles à ses règlements. Non seulement Groupe TVA a-t-il prémédité sa non-conformité à l’égard de l’article 15(1) du Règlement en annonçant aux abonnés de Bell qu’il retiendrait le service, mais lorsque le Conseil lui a indiqué qu’il devait continuer à fournir le service à Bell, Groupe TVA a mis à exécution sa menace de retenir le service.
  4. Groupe TVA s’est conformé à la règle du statu quo à la suite de l’ordonnance de la Cour supérieure du Québec émise le 12 avril 2019. Toutefois, compte tenu de ce qui précède, le Conseil n’est pas convaincu que Groupe TVA se serait conformé à la règle sans l’ordonnance de la Cour.
  5. Le Conseil rappelle à Groupe TVA et Québecor que détenir une licence est un privilège, et non un droit. De plus, le Conseil est prêt à entamer des procédures devant les tribunaux advenant une non-conformité.
  6. Compte tenu de ces facteurs, le Conseil estime approprié d’imposer une ordonnance en vertu de l’article 12(2) de la Loi.
  7. Par conséquent, en vertu de l’article 12(2) de la Loi, le Conseil ordonne par la présente à Groupe TVA inc. de continuer à fournir son service de programmation, TVA Sports, à Bell Canada jusqu’à ce que le différend soit résolu et de se conformer en tout temps à l’article 15(1) du Règlement pour ce service. Une ordonnance à cet effet est énoncée à l’annexe de la présente décision. En vertu de l’article 13 de la Loi, l’ordonnance sera déposée en date des présentes auprès de la Cour fédérale et sera assimilée à une ordonnance de cette cour.
  8. Finalement, le Conseil est sérieusement préoccupé par le peu d’égard de Groupe TVA envers l’autorité du Conseil. Compte tenu du comportement inflexible dont a fait preuve le titulaire à l’égard de ses obligations réglementaires et l’absence d’un engagement ferme pour rectifier la situation, le Conseil ne peut avoir l’assurance que Groupe TVA respectera ses obligations réglementaires à l’avenir.
  9. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil suspend par la présente la licence de radiodiffusion de Groupe TVA inc. pour TVA Sports. Toutefois, cette détermination est suspendue et entrera en vigueur seulement si Groupe TVA ne se conforme pas à l’article 15(1) du Règlement. S’il advenait que Groupe TVA retienne encore le signal de TVA Sports fourni aux entreprises de distribution de Bell ou interfère avec celui-ci avant que les parties parviennent à un accord ou le Conseil rende une décision concernant toute question non résolue, la suspension de licence entrera automatiquement en vigueur pour la durée de la période pendant laquelle le service de programmation n’est pas fourni à Bell jusqu’à ce que les parties règlent leur différend ou que le Conseil rende une décision à propos de cette question non réglée.
  10. Le Conseil rappelle à Groupe TVA qu’une suspension de licence signifie qu’il ne pourra pas diffuser TVA Sports sur toute entreprise de distribution, y compris sur le service lié Vidéotron. S’il advenait que Groupe TVA continue de diffuser le service de programmation alors que sa licence est suspendue, il diffuserait sans licence, ce qui constituerait une infraction à l’article 32(1) de la Loi pour laquelle des poursuites pourraient être entamées.

Secrétaire général

La présente décision doit être annexée à la licence.

Documents connexes

Annexe à la décision de radiodiffusion CRTC 2019-109

Ordonnance de radiodiffusion CRTC 2019-110

Conformément à l’article 12(2) de la Loi sur la radiodiffusion, le Conseil ordonne à Groupe TVA inc. de continuer à fournir son service de programmation TVA Sports à Bell Canada aux mêmes tarifs et selon les modalités qui s’appliquaient avant qu’il retienne le service le 10 avril 2019, jusqu’à ce que les parties parviennent à un accord concernant la fourniture et les modalités de fourniture de TVA Sports ou le Conseil rende une décision concernant toute question non résolue.

Conformément à l’article 12(2) de la Loi sur la radiodiffusion, le Conseil ordonne à Groupe TVA inc. de se conformer en tout temps aux exigences énoncées à l’article 15(1) du Règlement sur les services facultatifs à l’égard de son service de programmation TVA Sports. L’article se lit comme suit :

En cas de différend entre le titulaire et une personne autorisée à exploiter une entreprise de distribution ou l’exploitant d’une entreprise de distribution exemptée concernant la fourniture ou des modalités de fourniture de la programmation transmise par le titulaire ou concernant tout droit ou toute obligation prévus par la Loi, le titulaire continue à fournir ses services de programmation à l’entreprise de distribution aux mêmes tarifs et selon les modalités qui s’appliquaient aux parties avant le différend.

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